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écrivain, poète, parolier, chanteur, critique musical, trompettiste et directeur artistique français De Wikiquote, le recueil de citations libre
Boris Vian (né le 10 mars 1920, à Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine) et mort le 23 juin 1959, à Paris) est un écrivain français, ingénieur, inventeur, poète, parolier, chanteur, critique et musicien de jazz (trompettiste). À ces multiples talents, il convient d'ajouter ceux de conférencier, scénariste et traducteur (anglo-américain). Il a également publié sous les pseudonymes de Vernon Sullivan ou Bison Ravi (anagramme de son nom).
— Ce pâté d'anguilles est remarquable, dit Chick. Qui t'a donné l'idée de le faire ?
— C'est Nicolas qui en a eu l'idée, dit Colin. Il y a une anguille — il y avait, plutôt — qui venait tous les jours dans son lavabo par la conduite d'eau froide.
— C'est curieux, dit Chick. Pourquoi ça ?
— Elle passait la tête et vidait le tube de pâte dentifrice en appuyant dessus avec ses dents. Nicolas ne se sert que de pâte américaine à l'ananas et ça a dû la tenter.
— Comment l'a-t-il prise ? demanda Chick.
— Il a mis un ananas entier à la place du tube. Quand elle avalait la pâte, elle pouvait déglutir et rentrer sa tête ensuite, mais, avec l'ananas, ça n'a pas marché, et plus elle tirait, plus ses dents entraient dans l'ananas.
Colin s'arrêta.
— Nicolas quoi ? dit Chick.
— J'hésite à te le dire, ça va peut-être te couper l'appétit.
— Va donc, dit Chick, il ne m'en reste presque plus.
— Nicolas est entré à ce moment-là et lui a sectionné la tête avec une lame de rasoir. Ensuite, il a ouvert le robinet et tout le reste est venu.
— C'est tout ? dit Chick. Redonne-moi du pâté. J'espère qu'elle a une nombreuse famille dans le tuyau.
— On devrait les empêcher d'aller si vite, dit Colin.
Puis il fit un signe de croix car le patineur venait de s'écraser contre le mur du restaurant, à l'extrémité opposée de la piste, et restait collé là, comme une méduse de papier mâché écartelée par un enfant cruel.
Il fit un grand pas pour éviter une raie du bord du trottoir qui paraissait dangereuse.
— Si je peux faire vingt pas sans marcher dessus, dit Colin, je n'aurai pas de bouton sur le nez de demain...
— Ca ne fait rien, dit-il, en écrasant de tout son poids la neuvième raie, c'est idiot, ces trucs-là. Je n'aurai pas de bouton quand même.
— Les boutiques des fleuristes n'ont jamais de rideaux de fer. Personne ne cherche à voler des fleurs.
Il cueillit une orchidée orange et grise dont la corolle délicate fléchissait. Elle brillait de couleurs diaprées.
— Elle a la couleur de la souris à moustaches noires...
La souris prouva qu'elle n'avait besoin de personne en sortant toute seule et en se taillant un morceau de savon en forme de sucette.
— N'en colle pas partout, dit Colin. Ce que tu es gourmande !...
Le tapis de l'escalier, mauve très clair, n'était usé que toutes les trois marches : en effet, Colin descendait quatre à quatre. Il se prit les pieds dans une tringle nickelée et se mélangea à la rampe.
— Ca m'apprendra à dire des conneries.
Il se fit un abondant silence à l'entour, et la majeure partie du reste du monde se mit à compter pour du beurre.
Mais, comme il fallait s'y attendre, le disque s'arrêta. Alors, seulement, Colin revint à la vraie réalité et s'aperçut que le plafond était à clairevoie, au travers de laquelle regardaient les locataires d'en dessus, qu'une épaisse frange d'iris d'eau cachait le bas des murs, que des gaz, diversement colorés, s'échappaient d'ouvertures pratiquées ça et là et que son amie Isis se tenait devant lui et lui offrait des petits fours sur un plateau hercynien.
— Emmenez-le..., dit-il au sous-directeur. Je vois bien pourquoi il est venu... Allez, vite !.. Déguerpis, clampin ! hurla-t-il.
Le sous-directeur se précipita vers Colin, mais celui-ci avait saisi le dossier oublié sur la table :
— Si vous me touchez..., dit-il.
Il recula peu à peu vers la porte.
— Va-t-en ! criait le directeur. Suppôt de Satin !...
— Vous êtes un vieux con, dit Colin, et il tourna la poignée de la porte.
Il lança son dossier vers le bureau et se précipita dans le couloir. Quand il arriva à l'entrée, l'huissier lui tira un coup de pistolet et la balle de papier fit un trou en forme de tête de mort dans le battant qui venait de se refermer.
La souris écarta les mâchoires du chat et fourra sa tête entre les dents aiguës. Elle la retira presque aussitôt.
— Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin ?
— Ecoute, dit le chat, si ça ne te plaît pas, tu peux t'en aller. Moi ce truc-là, ça m'assomme. Tu te débrouilleras toute seule.
Il paraissait fâché.
— Ne te vexe pas, dit la souris.
Elle ferma ses petits yeux noirs et replaça sa tête en position. Le chat laissa reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris. Les moustaches noires de la souris se mêlaient aux siennes. Il déroula sa queue touffue et la laissa traîner sur le trottoir.
Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l'Apostolique.
On n'est libre que lorsqu'on a envie de rien, et un être parfaitement libre n'aurait envie de rien. C'est parce que je n'ai envie de rien que je me conclus libre.
Mais non, dit Angel. Puisque vous avez envie d'avoir des envies, vous avez envie de quelque chose et tout cela est faux.
Je n'insiste pas parce qu'elle a beau être inconsciente, je lui ferais bien des politesses. Mais à y réfléchir, ça ne vaut pas le coup. La vraie Flo m'attend dehors et elle a toute sa lucidité. Gaya dans l'état où elle est, autant faire ça avec une chaise. Et puis j'ai ma robe qui me gêne et j'aurais l'air idiot si on entrait.
Et zut et zut, j'ai horreur des drogués, quels qu'ils soient, Gaya ou autres.
Flo est là-bas au bout du jardin.
— J'ai renvoyé le chauffeur, dit-elle. Je vous reconduis moi-même, ma petite Frances.
Je lui prends la main et la serre doucement. Ça la met dans tous ses états.
— Montez vite, me dit-elle.
Je monte. Elle a une jolie voiture. Je lui donne mon adresse. Elle conduit d'une main, l'autre autour de mes épaules. Si elle était tant soit peu moins abrutie, elle se dirait peut-être que j'ai les épaules un brin larges pour une fille. Preuve qu'elle a pas beaucoup l'habitude des filles. Elle a dû lire le rapport Kinsey, se dire que tous les hommes sont des porcs, et décider de s'adonner aux joies des amours anormales avec une personne de son sexe, douce et délicate et pas dangereuse à fréquenter.
Sa bagnole s'arrête devant chez moi. Les gens qui nous verront monter ensemble vont se dire que le petit Francis ne se refuse rien... pensez... deux d'un coup... Parce qu'elle monte avec moi, naturellement.
Je vous raccompagne, me dit-elle, jusqu'à votre chambre. Je suis sûre que vous avez une chambre délicieuse.
Si elle ne s'aperçoit pas tout de suite que ma chambre est une chambre d'homme, c'est qu'elle n'a pas non plus tellement l'habitude des chambres d'hommes. Cette réflexion, contradictoire, est loin de me déplaire.
Ils sont tous là, ils bavardent. Une vraie conversation follement simple, où il est question de tout sauf de ce qui peut avoir intérêt pour des gens normaux. Tiens, le grand garçon blond a changé de place. Il est tout près de moi, maintenant, un peu en retrait.
C'est marrant. L'atmosphère est comme qui dirait tendue.
On parle de bateaux, maintenant, et du Potomac. Et de baignades dans le Potomac. Et d'un chriscraft rouge et blanc.
Et Richard Walcott me fait vraiment une drôle de gueule. Quant à Ted Le May, il abandonne toutes ses jolies manières. Pas de doute. Ces deux-là m'en veulent un peu.
— C'est pourquoi, conclut Richard, nous avons demandé à Gaya de vous amener ici ; et nous la remercions de l'avoir fait.
— Excusez-moi, dis-je, mais je n'ai pas bien compris vos motifs. Vous n'en êtes pas à un chriscraft près... avec toute la drogue que vous vendez...
C'est un coup que j'ai l'air de lancer au hasard, mais ça jette un froid.
Par contre, un coup qui n'est pas du tout au hasard, c'est celui que je reçois sur le crâne.
Un général sans soldats est-il dangereux ? Un commissaire ou un préfet de police sans agents ? Un pape sans cardinaux, sans archevêques et sans curés ? Ceux-là j'en veux bien. Les Anglais le savent : un roi sans pouvoir est merveilleusement inoffensif. Mais un lampiste est une force agissante. Cent lampistes sont un danger pour l'individu. Cent mille lampistes suffisent à une guerre. Cent millions de lampistes font le malheur de l'humanité. Le directeur de la SNCF n'est pas en mesure de faire dérailler un train par ses propres pouvoirs, il faudra pour y arriver qu'il se mue en aiguilleur - ou en lampiste - et qu'il fausse les signaux. Mais un aiguilleur ! Quel poste de choix. Hitler tout seul ! Merveilleux spectacle. Mais quatre-vingt-cinq millions de lampistes derrière lui, et finie la rigolade. Hitler est mort, les lampistes restent et tâchent de se faire passer pour inoffensifs - comme tous les lampistes du monde. Les lampistes entre eux se haïssent; mais réunis, ils prennent le nom de peuple et deviennent invulnérables.
L'individualisation du peuple est la seule défense contre le lampiste. Le lampiste le sait .Faut qu' ça saigne
Faut qu' les gens ayent à bouffer
Faut qu' les gros puissent se goinfrer
Faut qu' les petits puissent engraisser
Faut qu' ça saigne
Mon oncle un fameux bricoleur
Faisait en amateur
Des bombes atomiques
Y a quéqu'chos' qui cloch' là-d'dans
J'y retourne immédiat'ment
Mon oncle un fameux bricoleur
Faisait en amateur
Des bombes atomiques
On n'est pas là pour se faire engueuler
Monsieur le président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps.
Monsieur le président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer de pauvres gens.
C'est pas pour vous fâcher,
Il faut que je vous dise,
Ma décision est prise,
Je m'en vais déserter.
Si vous me poursuivez,
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer.
pour séduire le cher ange
on lui glisse à l'oreille
Ah! Gudule
Viens m'embrasser
Et je te donnerai
Un frigidaire
Un joli scoutaire
Un atomixère
Et du Dunlopillo
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pelles à gâteaux
Voilà la vie comme Boris la conçoit, au bord de l'eau, dans la lumière du mois de juillet, avec des copains et des jeunes filles en fleur, loin de l'atmosphère débilitante et cotonneuse des salles de classe, loin de l'ordonnancement rigide des cours. Dans l'esprit des Vian, tout ce qui n'est pas vacances est considéré comme du temps perdu, sacrifié à la société. « Aussi longtemps qu'il existe un endroit où il y a de l'air, du soleil et de l'herbe, on doit avoir regret de ne point y être. Surtout quand on est jeune », écrira-t-il dans L'Herbe rouge.
Il va pourtant s'enfermer pour préparer le concours de l'École centrale.
Le débarquement allié a permis à Jacques Loustalot de s'affranchir de la tutelle paternelle. Après avoir occupé un poste de « technicien des transmissions » au ministère de l'Intérieur, obtenu grâce à son oncle, général à Vichy, il est revenu vivre chez sa mère à Paris. Il porte désormais une fine moustache pour se vieillir un peu. Il lui arrive également de revêtir un uniforme kaki acheté à un militaire américain ivre. Ce nouveau costume lui sied à ravir. Il l'arbore dans les boîtes de la capitale ou dans les nombreuses surprises-parties où il se rend sans y être invité. Son allure singulière l'en fait renvoyer régulièrement et, en guise de représailles, il peut se saisir de la boîte d'aiguilles à pick-up et les avaler devant les invités épouvantés. L'attitude du Major est proprement dadaïste.
Son œil de verre lui permet, une fois de plus, d'horrifier ses hôtes d'un soir. Quoi de plus impressionnant, pour forcer le respect, que de s'enfoncer une aiguille dans l'œil. Quand l'envie lui en prend, il lui arrive aussi de mettre un appartement à sac avec ses « aides de camp ». Il est également fréquent pour le Major de s'éclipser de ces soirées en sautant par la fenêtre ou, s'aidant d'une corde confectionnée avec des draps de la maison, de se laisser glisser le long de la façade. Les folies du Major fourniront à Boris le motif d'une nouvelle, publiée le 12 juillet 1947 dans Samedi-Soir : « Surprise-partie chez Léobille ».
Le luxe, pour lui, ne consiste pas à s'acheter des châteaux et des terres « là où il y a de la place » :
« Ca, c'est un luxe de paysan enrichi, un luxe de gagne-petit. Non... Le luxe, ce serait d'acheter les immeubles de tout un côté de l'avenue de l'Opéra et de les raser, puis de les remplacer par un énorme champ de pois de senteur avec, au milieu, une maisonnette extrêmement confortable, mais d'une seule chambre. »
Le luxe selon Boris, c'est « l'imagination au pouvoir », et non l'argent au service du conformisme. Pour cet éternel rêveur, souvent au seuil de la banqueroute, les belles voitures d'antan vont symboliser sa conception de la beauté et du raffinement.
Toujours ce prix de la Pléiade qui ne passe pas ? Sans doute mais, avec le recul, Boris a révisé sa conception des prix. Comme l'atteste sa description du « concurrent », dépeint comme un cochon lors de concours agricoles :
« Dès qu'il est primé par le jury, le concurrent est félicité, photographié, pesé et mesuré, on lui demande d'exprimer ce qu'il ressent par le canal d'organes spécialisés de grand format, et il précise généralement ce qu'il entend faire des sous qu'on lui donne pour sa tirelire ; acheter une bauge plus large, un véhicule qui lui évite de remuer seul son poids considérable, des ornements corporels de couleurs diverses, etc. Il ne se doute pas, le pauvrelet, qu'au moment de son couronnement, le président du jury, par le truchement d'un organe analogue à l'aiguillon de la guêpe Polybia Brasiliensis, lui a injecté dans la patte, sous le couvert de la lui serrer, un liquide paralysant à plus ou moins lointaine échéance et qui garantit son impuissance future. »
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