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jeu de société De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Le trictrac, plus rarement tric trac ou tric-trac, est un jeu de société de hasard raisonné pour deux joueurs qui se joue avec des dés sur un tablier semblable à celui du backgammon. Il appartient à la famille des jeux de tables.
Formats |
tablier table de trictrac |
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Mécanismes |
conquête hasard raisonné |
Joueur(s) | 2 |
Âge | À partir de 10 ans |
Durée annoncée | env. 1 heure |
habileté physique Non |
réflexion décision Oui |
générateur de hasard Oui |
info. compl. et parfaite Oui |
Son intérêt ludique réside dans les multiples combinaisons, dans l’importance des prises de décisions et dans ses règles très abouties. Il demande une attention permanente de la part des joueurs que ce soit ou non à leur tour de jouer. Son vocabulaire, très riche[1] et qui peut paraître désuet à ceux qui ne pratiquent pas le jeu, se retrouve fréquemment dans la littérature française.
Le but du jeu n’est pas de sortir ses dames le plus rapidement possible, contrairement au jacquet ou au backgammon, mais de marquer un maximum de points. Les parties se terminent le plus souvent avant que toutes les dames ne soient sorties.
Quoique le trictrac soit un jeu de société de la famille très ancienne des jeux de tables, la plus ancienne mention connue du mot trictrac se trouve dans une lettre de Nicolas Machiavel datée du 10 décembre 1513. Le jeu a pris sa forme actuelle au cours du même siècle, et sa grande vogue en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, à la cour et dans les milieux aristocratiques. Il a connu une renaissance durant la Restauration avant de quasiment disparaître à la fin du XIXe siècle. Il fait partie des jeux de hasard raisonné tels que le backgammon qui était connu en France sous l’appellation toutes tables[2] ou le jacquet, bien plus simple et qui n’est apparu que vers 1800 si l’on prend pour référence la première règle connue datant de 1818[3].
Le plus ancien traité sur le trictrac a été écrit par Euverte Jollyvet, avocat au parlement de Paris, en 1634[4] dans le but de standardiser les règles du jeu qui devaient se transmettre alors par tradition orale. Depuis cette date, seulement des modifications mineures ont été apportées et les règles ont connu une grande stabilité comme l'attestent les différents traités de la bibliographie. Un des auteurs en avait déjà fait la constatation en 1818[5] : « Il est constant qu’il y a cent cinquante ans qu’on le joue comme on le fait à présent, sans que ses règles aient subi de variations importantes. »
Le dernier traité d’importance a été publié en 1852[6].
Les principales sources pour déterminer l’ancienneté et l’origine géographique du trictrac, en tant que jeu de tables spécifique, sont les traités à son sujet parus depuis le XVIIe siècle.
Euverte Jollyvet dans le premier traité de l’histoire du jeu de trictrac (1634 et plusieurs rééditions au cours du XVIIe siècle), écrit ne rien savoir ni de l’ancienneté du jeu de trictrac ni de son pays de provenance.
« Il y a des esprits qui pour paraître savants, se plaisent à rechercher l’antiquité des choses, mille ans auparavant qu’elles fussent trouvées, mais ce n’est qu’une vanité très inutile, je ne dis pas inepte. […] Quant à l’antiquité du jeu de tricque-trac, je ne la saurais dire, j’avoue mon ignorance, et n’ai pas peur d’être blâmé, bien sais-je qu’on s’amusera plus aujourd’hui de rechercher les titres et mouvements de la vraie noblesse, que non pas ceux de l’antiquité de ce jeu, qui vieil ou nouveau, français ou étranger doit être tenu pour le plus excellent de tous les jeux des bonnes compagnie. »
— L’Excellent Jeu du tricque-trac, veuve Jean Promé[7], Paris, 1656, p. 8-9.
L’auteur anonyme du deuxième traité du trictrac, édité chez Charpentier[8] (1698, 1701, 1715), ne prend pas parti quant à l’ancienneté du jeu ni à son origine, si ce n’est qu’il cite deux pays possibles, la France et l’Allemagne (en fait, Vienne en Autriche), et qu’il donne son sentiment en faveur de la France.
« Je ne dirai rien de l’antiquité de ce jeu et je n’entreprendrai pas de décider si ce sont les français ou les Allemands qui en ont été les inventeurs. Je sais qu’il y a eu des gens qui ont donné cette gloire aux Allemands et que plusieurs autres l’ont attribué aux Français. Mais je crois que si l’on en juge par ce qui nous paraît journellement, l’on se déterminera facilement en faveur des Français, et que l’on conviendra qu’on joue mieux ce beau jeu à la cour de France qu’à celle de Vienne. »
— Le Jeu du trictrac comme on le joue aujourd’hui, Charpentier, Paris, 1715, p. 1-2.
Laurent Soumille en 1738 et 1756, dans le troisième traité, et Fallavel en 1776 dans le quatrième, n’abordent pas le sujet, pas plus que Guiton, auteur du premier traité du XIXe siècle, 1816 et 1822, ni Julien Lelasseux-Lafosse celui du dernier traité d’importance en 1852.
Pierre-Marie-Michel Lepeintre, auteur du deuxième traité du XIXe siècle, en 1818, n’apporte pas plus d’informations, mais il s’avance sans fournir de source sur le fait qu’il aurait été introduit en France au début du XVIe siècle.
« On ne sait pas au juste où remonte cette espèce particulière de trictrac, proprement dit, ni à quelle époque il a été introduit en France. Il résulterait seulement de la lecture de nos auteurs, qu’il n’y a pas trois siècles qu’il a été apporté chez nous, et il est constant qu’il y a cent cinquante ans qu’on le joue comme on le fait à présent, sans que ses règles aient subi de variations importantes. »
— Cours complet de trictrac, Guillaume, Paris, 1818, p. 13.
Les traités écrits sur le trictrac ne permettant pas de remonter plus loin que le début du XVIIe siècle, il faut se tourner vers la littérature pour y chercher des indices mais comme le mot trictrac était aussi donné au tablier utilisé pour tous les jeux de tables[9] et que des versions modernes de textes anciens font apparaître le mot trictrac qui n’existait pas dans les originaux, la recherche du mot trictrac dans ses différentes orthographes doit s’accompagner de celle d’expressions spécifiques au jeu.
Une pièce en vers intitulée La Friquassée crotestyllonnée, des antiques modernes chansons, dont la préface est datée de 1557, reprend notamment, en jouant parfois sur les mots, un grand nombre d’expressions de jeux d'enfants, pratiqués alors à Rouen, dont trois sont aussi typiques du jeu de trictrac.
« Grand Jan, petit Jan
Margot la fendue, et tous ses gens[10]. »
Cependant, ces expressions étant alors très courantes (les deux premières désignaient un mari trompé, la dernière une prostituée), la référence au trictrac n'est pas assurée. Par ailleurs, en 1907 est paru un livre rassemblant notamment des jeux de groupe encore pratiqués dans le bocage normand, parmi lesquels celui intitulé « Petit jean, Gros Jean, et Margot la fendue » qui se jouait avec trois morceaux de bois, un petit, un plus long et un autre en forme de fourche[11], et qui pourrait bien correspondre à celui cité dans La Friquassée crotestyllonnée de 1557.
Le tic-tac ou tick-tack est un jeu très proche du trictrac, utilisant une partie de ses situations caractéristiques et d’autres spécifiques. Les règles de déplacement des dames sont moins contraignantes, et les points ne sont pas comptés. Dès qu’une situation de jeu marquante est obtenue par un joueur, il gagne la partie. Il s’agit ainsi d’un jeu très rapide, quelques minutes à un quart d’heure de temps de jeu, favorisant les paris et les renvis[12].
Euverte Jollyvet[13] lui donne l’appellation de petit tricque-trac et par opposition celle de grand tricque-trac au trictrac. Il écrit aussi qu'il n’était pas joué par les Français.
Il apparaît avoir surtout été joué en Angleterre où deux auteurs en donnent des règles au milieu du XVIIe siècle[14].
Malgré le lien de parenté évident entre les deux jeux, aucune source ne permet d’affirmer que le tic-tac est le précurseur du trictrac ni qu’il en est une régression.
Le mot trictrac a connu plusieurs orthographes : tricque-trac, trique-trac[15], triquetrac[16], trictrac[17] et plus rarement tric trac ou tric-trac que l’on trouve dans la littérature. De nos jours, seules les trois dernières orthographes sont utilisées, les autres étant tombées depuis longtemps en désuétude[18].
Pour ce qui est de l’étymologie, aujourd’hui, il est majoritairement admis que le mot trictrac est une onomatopée. Pourtant, tous ne sont pas du même avis.
Euverte Jollyvet, premier auteur sur le jeu de trictrac (1634), estime que le mot trictrac est une onomatopée avant de demander au lecteur de se contenter de cette origine linguistique vu que « le sujet est un jeu et non une science » :
« Le jeu de tricque-trac, comme j’estime pour vraisemblable, vient du bruit qui se fait sans remède en l’exercice du jeu, au déplacement et placement des dames, qui en leurs mouvements rendent un son continuel, qui semble dire à l’oreille Tric et Trac, ou bien comme aucuns l’appellent Tic et Tac, qui sont paroles vraiment mises dans le son même ; ce qui fait que cette onomatopée peut passer pour vraie et naïve définition. »
— L’Excellent Jeu du tricque-trac, veuve Jean Promé, Paris, 1656, p. 6.
L’auteur anonyme du deuxième traité, édité chez Charpentier (1698, 1701, 1715), préfère une autre étymologie que l’onomatopée et propose une origine grecque, plus noble et savante :
« Quant au nom de ce jeu, plusieurs prétendent qu’il lui vient du bruit qui se fait en jetant les dés, remuant les dames, parce que ce bruit rend un son qui semble répéter incessamment Tric Trac ou Tic Tac. Mais j’aimerais mieux, à l’exemple d’une personne qui savait le jeu en perfection, lui donner une origine plus noble et la tire comme lui des deux mots grecs Τρις-Τραχυς qu’on peut écrire en lettre vulgaire Tris Trakus et qui signifie trois fois difficile à jouer et comprendre. »
— Le Jeu du trictrac comme on le joue aujourd’hui, chez Charpentier, Paris, 1715, p. 4.
Laurent Soumille en 1738 et 1756 dans le troisième traité, affirme en citant les plus connus des lexicographes que le mot trictrac est une onomatopée :
« Le trictrac, dont j’entreprends ici de donner les règles, tire son nom du bruit que font les dames, les dés, et les cornets. Furetière, Richelet et le Dictionnaire universel de Trévoux ne lui donnent pas d’autre étymologie. »
— Le Grand Trictrac, Giffart, Paris, 1756, p. 1.
Fallavel en 1776 dans le quatrième traité, est le plus direct[19] : « le jeu tire son nom du bruit qu’on fait en y jouant. »
Guiton, auteur du premier traité du XIXe siècle, en 1816 et 1822, n’aborde pas le sujet.
Lepeintre, auteur, en 1818, du deuxième traité du XIXe siècle, prend d’abord une distance vis-à-vis de l’onomatopée avant de l’adopter :
« On n’a rien trouvé jusqu’à présent de certain sur l’étymologie du mot trictrac. Les plus savants scholiastes du XVIIe siècle sont d’avis que ce mot a été formé par onomatopée, du bruit que font les dés et les dames ; c’était l’opinion de Ménage, de Furetière et de Pasquier […]. Cette opinion me paraît fondée sur la vérité même. »
— Cours complet de trictrac, Guillaume, Paris, 1818, p. 13.
Lelasseux-Lafosse, polytechnicien et auteur du dernier traité d’importance du XIXe siècle, en 1852, cite les deux hypothèses précédemment avancées sans prendre parti :
« Beaucoup de personnes pensent que le trictrac tire son nom du bruit que font les dés, les dames et les cornets ; d’autres disent que ce nom vient de deux mots grecs qui signifient trois fois difficile. »
— Le Jeu du trictrac rendu facile, Ledoyen, Paris, 1852, t. 1, p. 2.
Il ressort de cette succession chronologique de citations que rien ne vient étayer aucune des deux thèses. Si celle sur l’origine grecque apparaît complexe, celle de l’onomatopée bien que séduisante n’en est pas moins incertaine et ne devrait être utilisée qu’avec des réserves. Cependant une autre définition ancienne du mot trictrac tend à renforcer l’hypothèse de l’onomatopée, trictrac étant aussi le nom donné au XVIIe siècle à une chasse à la battue :
« Trictrac est, aussi, un terme de chasse et signifie une battue qu’on fait dans les bois avec grand bruit, pour faire sortir les bêtes que l’on chasse. »
— Dictionnaire de L’Académie française, première édition, 1694.
Une piste n’a jamais été évoquée, celle d’une utilisation du latin pour créer le nom du jeu, Triquetra signifiant triangle qui est la forme caractéristique des cases du tablier de triquetrac.
Le trictrac ne semble pas avoir été joué ou très peu en dehors des salons de la haute société où il était pratiqué par les deux sexes :
Le titre complet L’Excellent Jeu du tricque-trac. Très Doux Esbattement és nobles compagnies, du traité d’Euverte Jollyvet, sieur de Votilley, se suffirait à lui seul pour justifier cette supposition concernant le XVIIe siècle. Une citation de ce livre édité pour la première fois en 1634 est sans ambiguïté :
« Autre raison d’excellence se peut tirer de ce que de cent mille personnes qui peuvent savoir ce jeu, on n’en trouvera pas dix de telle condition qui le sache, et le pratique : ou presque tous les autres sont aussi communs entre les pages, serviteurs et laquais, qu’entre les princes, seigneurs et gentilshommes […] Mais au Grand Trictrac, il n’y a que les gens d’honneur qui le pratiquent et encore les plus spirituels, actifs et vigilants qui le peuvent comprendre. »
— L’Excellent Jeu du tricque-trac, veuve Jean Promé, Paris, 1656, p. 11.
À la fin du règne de Louis XIV, le trictrac garde encore toute sa popularité dans les salons comme il l'est attesté dans le traité du Jeu de trictrac, comme on le joue aujourd’hui édité en 1698, 1701 et 1715 :
« L’excellence, la beauté et la sincérité qui se rencontrent dans ce jeu font que le beau monde qui a de la politesse s’y applique avec beaucoup de soin, en fait son jeu favori et le préfère aux autres jeux. En effet ce beau jeu a tant de noblesse et de distinction, que nous voyons qu’il est plus à la mode que jamais. Les dames y ont une très grande attache […] »
— Le Jeu du trictrac comme on le joue aujourd’hui, Charpentier, Paris, 1715, p. 2-3.
Sous Louis XV, en 1738, l’abbé Laurent Soumille dans la préface de son traité Le Grand Trictrac, édité à Avignon, témoigne d’une désaffection des joueurs pour le trictrac et en attribue la cause à la complexité des règles et à celle de la rareté des bons maîtres :
« À peine trouve-t-on quelquefois dans une ville un bon joueur de trictrac ; et pour l’apprendre de lui, il faudrait une heureuse conformité de loisir, de sentiments, d’inclinations : toutes choses si difficiles à trouver dans deux personnes, qu’il ne faut pas s’étonner si ce jeu, tout noble qu’il est, a si peu de cours dans le monde. »
— Le Grand Trictrac, Girard et Seguin, Avignon, 1738, « Préface ».
Le livre de Soumille a probablement contribué à relancer le jeu de trictrac et la période qui a suivi est celle des élégantes tables de trictrac qui viennent meubler les salons. Jusqu’alors, les tabliers à charnières étaient utilisés.
Sous Louis XVI, Fallavel dans son traité du Jeu du trictrac, ou les Principes de ce jeu est optimiste sur la popularité du jeu mais émet de manière indirecte ses craintes sur son avenir :
« Il serait peut-être le lieu de faire l’apologie du jeu de trictrac et de faire voir combien il l’emporte sur tous les jeux qui sont aujourd’hui l’amusement des sociétés, mais il est assez connu pour n’avoir pas besoin d’en relever les avantages et il se soutient depuis trop longtemps, malgré toutes les vicissitudes des modes, pour craindre que jamais on l’abandonne. »
— Le Jeu du trictrac, Nyon, Paris, 1776, « Avertissement ».
Après la chute de Napoléon Bonaparte, avec la restauration de la monarchie, les familles d’émigrés royalistes reviennent en France, et Lepeintre en 1818, dans son traité intitulé Cours complet de trictrac, avec un abrégé du gammon, du jacquet et du garanguet[21], fait un état de la situation concernant le jeu de trictrac :
« Ignoré de la classe grossière, il suppose, dans les personnes qui le jouent, du savoir-vivre et de l’habitude du monde, à l’exception d’un très petit nombre de joueurs de profession qui passent leur vie dans les cafés ou les tripots. Ainsi, par la complication de sa marche, il est tout à la fois hors de la portée des gens du commun, et d’une facile récréation pour la partie polie de la société ; également agréable aux jeunes gens et aux vieillards, au beau sexe et aux philosophes, aux savants et aux mondains […] Il est à Paris un grand nombre de personnes qui ont abandonné les dames, les échecs, les cartes, et spécialement le trictrac, pour aller passer leurs loisirs au tapis vert, ce dont elles ont à se repentir amèrement, le plus souvent toute leur vie […] Le trictrac, quoique bien plus répandu [que les dames], ne compte également que des vétérans pour principaux amateurs. Il n’en existe même plus de véritablement forts, depuis la mort toute récente d’un personnage de distinction qui y excellait, M. le duc de Laval-Montmorency, […] Ce jeu serait donc menacé d’une décadence totale dans les salons, si la restauration de la bonne compagnie ne nous garantissait pas sa restauration. N’en doutons pas, il reprendra sa vogue, il redeviendra ce qu’il a été autrefois : la recréation des honnêtes gens et des personnes bien nées et bien élevées. »
— Cours complet de trictrac, Guillaume, Paris, 1818, « discours préliminaire », p. 1-3.
Lepeintre, terminant son traité, donne un ordre d’idée de ce que pouvait représenter le trictrac pour les passionnés, lorsqu’il fait dire au vieil ermite du Morbihan, maître de trictrac :
« Là je mourrai tranquillement le cornet à la main : je veux qu’après ma mort on enterre avec moi mon trictrac favori, et que l’on m’élève un mausolée où la figure de ce jeu soit sculptée avec une inscription latine, contenant l’énumération des victoires qu’il m’a fait remporter, et cette épitaphe :
« Ci gît qui pour son bien ne fit rien à propos :
Mauvais spéculateur et très peu politique ;
Le trictrac composait toute sa rhétorique ;
Il prit enfin son coin dans le champ du repos. »»
— Cours complet de trictrac, Guillaume, Paris, 1818, p. 153-154.
La prédiction du retour du trictrac dans les salons semble s’être bien réalisée si l’on prend en compte que les plus nombreuses tables de trictrac mises en vente aujourd’hui chez les antiquaires datent de la Restauration et la place du trictrac dans les œuvres des auteurs classiques tel que Balzac avec Le Lys dans la vallée, ou Prosper Mérimée avec La Partie de trictrac.
Le trictrac a fini par ne plus être joué dans le premier quart du XXe siècle et les tabliers n’ont plus été fabriqués équipés de leurs trous, étant utilisés essentiellement pour le jeu de jacquet largement pratiqué dans les familles et les cafés jusqu’à l’avènement de la télévision vers 1960-1970. Les tables de trictrac se trouvent chez les antiquaires et décorent les châteaux et les résidences privées en tant que bel objet d’ébénisterie. À une époque où les appellations anglo-saxonnes sont souvent plus attractives (le backgammon portait l’appellation toutes-tables jusqu’au XIXe siècle), celle désuète de trictrac est assurément un handicap pour la diffusion du jeu.
Sans les écrits laissés par Jollyvet, Charpentier, Soumille, Fallavel, Guiton, Lepeintre et Lelasseux-Lafosse, le trictrac aujourd’hui ne pourrait plus être joué dans le respect de toutes ses règles, et beaucoup de ses expressions spécifiques utilisées dans la littérature française auraient perdu de leur sens. Quelques amateurs disséminés à travers le monde font revivre le trictrac et espèrent donner une renaissance à ce jeu qui a occupé une place importante dans la culture ludique française.
Au XVIIe siècle, l’expression trictrac de la cour était couramment utilisée pour parler des affaires politiques. Euverte Jollyvet pour insister sur l’importance du jeu de trictrac dans la société de cette époque en apporte un témoignage :
« […] le proverbe qui court, tant entre les savants que parmi les indoctes, quand on dit à tout propos, le tricque-trac de la Cour, le tricque-trac des affaires du monde, pour montrer la vicissitude et les changements des affaires de la Cour et des travers du monde. »
— L’Excellent Jeu du tricque-trac, veuve Jean Promé, Paris, 1656, p. 11.
La grande popularité du trictrac et la richesse de son vocabulaire sont à l’origine de deux satires politiques :
Durant la Fronde, une mazarinade intitulée Le Trique-trac de la cour, parue en 1652[22], dépeint avec esprit et insolence Mazarin et son entourage en détournant pour chacun d’entre eux, une expression du jeu de trictrac.
Sous la Révolution française, fin 1790, les auteurs du journal satirique, Les Actes des Apôtres, reprennent le même principe en publiant, en p. 14 du chapitre 170, un texte intitulé Trictrac national[23] qui sera réimprimé dans plusieurs ouvrages au cours du XIXe siècle dans des versions quelque peu différentes.
Trictrac de la cour (1652)[24] | Trictrac national (1790) |
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Extrait des Mémoires du cardinal de Retz, nouvelle édition augmentée de […] quelques pièces du cardinal de Retz et autres […][25], Jean Frédéric Bernard et Henri du Sauzet, Amsterdam, 1719, t. 4, p. 252. | Extrait des Mémoires de M. le comte de Montlosier, Dufey, Paris, 1830, t. 1, p. 408. |
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Durant la Restauration, sous Louis XVIII, Pierre Marie Michel Lepeintre, dans le discours préliminaire de son traité Cours complet de trictrac édité chez Guillaume à Paris en 1818, p. 3-6, s’attaque à l’ex-empereur Napoléon Bonaparte en exil sur l’Île Sainte-Hélène, l’accusant du sacrifice de millions de Français, d’usurpation de pouvoir, d’illégitimité, de tyrannie, et de lâcheté dans une comparaison de la gestion de ses campagnes avec les décisions d’un mauvais joueur de trictrac. Lepeintre est le seul auteur à avoir ainsi inclus des idées politiques dans un traité de trictrac.
Ci-dessous, l’intégralité du texte de Lepeintre sur Napoléon Ier :
Composition du matériel nécessaire pour jouer au trictrac :
Le tablier porte aussi le nom de trictrac. Le mot table était utilisé à l’origine pour désigner une dame du jeu[31]. Le nom de dame s’est généralisé au cours du XVIIe siècle mais celui de table est resté dans plusieurs expressions du jeu de trictrac.
Le trictrac fait partie des jeux de tables au même titre que le backgammon ou le jacquet.
L’attribution de la couleur des dames et la position des talons se font d’un commun accord mais peuvent aussi se faire par tirage au sort.
Chaque joueur place ses dames en trois ou quatre piles sur le talon situé de son côté. Celui qui a son talon à sa droite déplacera ses dames dans le sens des aiguilles d’une montre, celui qui l’a à sa gauche les déplacera en sens inverse.
Chaque joueur place son fichet dans le trou de la bande latérale, côté talons, le plus proche de lui. Le trou du milieu de cette bande reçoit le pavillon[32]. Les trois trous de la bande latérale opposée ne sont pas utilisés.
Les trois jetons sont alignés contre la bande latérale entre les deux talons.
Numérotation des flèches
Appellation des flèches
Jeu ordinaire et jeu de retour
Avoir une case, une demi-case, une surcase
Les deux tables du tablier de trictrac
Deux méthodes ont coexisté pour déterminer lequel des deux joueurs aurait la primauté :
Les anciens dés taillés dans l’ivoire ou l’os avaient des angles aigus et roulaient peu. Pour favoriser le hasard, ils étaient toujours projetés contre la bande opposée.
Aujourd’hui, l’emploi de dés équilibrés à angles arrondis permet d’éviter cette manipulation bruyante et il suffit de verser les dés dans le tablier. La primauté est déterminée selon la deuxième méthode, les joueurs lançant simultanément un dé dans leur table de droite.
Le joueur qui jette les dés annonce à voix haute les dés joués, puis toujours à voix haute les points que ce résultat lui apporte et, enfin, joue ses dames en fonction du résultat du jet de dés. Une fois une dame touchée, il ne peut plus modifier ses points et son adversaire peut l’envoyer à l’école du manque ou de l’excédent de points marqués.
Dès que les dames ont été jouées et avant de jouer à son tour, l’adversaire doit marquer les points que le coup de dés lui apporte. S’il lance les dés après avoir mal compté les points que lui valaient les dés précédemment joués, le joueur qui les avait lancés peut à son tour l’envoyer à l’école.
Le résultat d’un jet de dés est un doublet si les deux nombres sont identiques, et un coup simple s’ils sont différents.
Les coups simples s’annoncent le nombre le plus fort en premier comme « 6 et 4 » ou « 3 et As » (le 1 se dit toujours As).
Les doublets ont chacun leur nom :
Avec l’expérience du jeu, les annonces à voix haute ne sont plus systématiques[37].
Chaque dé peut permettre de déplacer une dame d’un nombre de flèches égal au nombre de points qu’il affiche. Il faut pour que le déplacement soit possible que la flèche d’arrivée ne soit pas bloquée, c’est-à-dire ne contienne pas de dame adverse.
Si un joueur décide de déplacer une dame du nombre total affiché par les dés, ce qui se dit jouer tout d’une, la flèche d’arrivée ainsi que la (dans le cas d’un doublet) ou au minimum une (dans le cas d’un coup simple) flèche intermédiaire ne doit pas être occupée par une ou plusieurs dames adverses.
Contrairement au backgammon, un doublet ne se joue pas deux fois mais seulement une, comme un coup simple. Avec un doublet, il n’est possible de déplacer au maximum que deux dames de chacune la valeur d’un dé. Au backgammon dans le même cas, il est possible de déplacer jusqu’à quatre dames.
Les règles d’occupation des coins de repos et celles du passage des dames au jeu de retour limitent aussi le déplacement des dames.
La règle la plus haute du jeu de trictrac est qu’il est impératif de jouer les points amenés par les deux dés quand cela est possible. En cas d’impossibilité d’exprimer les deux dés, il faut si possible jouer le plus fort, sinon le plus faible. Si aucun des deux dés ne peut être joué, il faut passer son tour.
La règle « dame touchée, dame jouée » est de rigueur sauf si l’on a annoncé avant : « j’adoube[38] ». Adouber est synonyme au trictrac, comme aux échecs, d'arranger et ne peut être utilisé que pour remettre en place une dame non alignée ou déplacer légèrement une dame pour voir la couleur de la flèche en dessous.
L’expression fausse case est utilisée pour signifier qu’une dame a été déplacée illégalement. Cette appellation vient du verbe caser qui était pris dans le sens déplacer les dames selon les dés amenés[39]. Le verbe tabler est synonyme de caser[40]. En cas de fausse case, l’adversaire est maître de faire jouer à sa guise la dame mal déplacée.
Sur un jet de dés :
Lorsqu’un dé est mauvais, le joueur doit relancer les deux.
Autres règles :
Aujourd’hui, un dé est dit cassé lorsqu'il est fortement incliné. Cela n’a pas toujours été le cas : il existait une règle sur la validité d’un dé cassé en deux, et une autre sur celle d’un dé incliné. Les dés pouvaient se casser du fait qu’ils étaient le plus souvent en os et qu’ils étaient projetés assez violemment sur la bande adverse. Si un dé se cassait en deux et qu’un seul morceau laissait apparaître ses points, le coup était bon[41].
Le coin de repos d’un joueur correspond à sa flèche no 11. Son occupation et sa libération sont conditionnées par les règles suivantes :
Il existe deux manières de prendre son coin de repos :
Deux règles sont liées aux deux manières de prendre le coin de repos :
Prendre son coin de repos ne rapporte aucun point.
D’un point de vue tactique, pour avoir plus de chances de prendre son coin de repos, il est bon de faire une ou deux surcases sur les flèches no 5 et no 6 lorsque le coin adverse est encore vide, mais quand l’adversaire l’a pris, il est préférable de ne pas trop surcaser sur la flèche no 6. Dans ces conditions, ces surcases constituent des provisions pour utiliser les six amenés par les dés. Ces positions avantageuses pour la prise du coin de repos ont amené les joueurs à donner l’appellation de coin bourgeois aux flèches no 5 et no 6[35].
Une partie entière de trictrac ou tour se joue en douze trous. Chaque fois qu’un joueur marque un ou plusieurs trous, il déplace son fichet le long de sa bande du tablier. Le premier trou se marque au pied du talon, le douzième au pied du coin de repos. Lorsque le fichet d’un des deux joueurs a atteint le douzième trou, le tour est fini et ce joueur est gagnant.
Pour marquer un trou il faut marquer douze points. Ces points sont gagnés lors de situations de jeu appelées jans, mais aussi par la sortie de toutes les dames d’un joueur, et par les erreurs de comptage des points par l’adversaire appelées écoles.
Le marquage des points se fait dans le tablier à l’aide des trois jetons placés initialement entre les deux talons contre la bande latérale. Cette position initiale correspond à zéro point.
Les points au trictrac sont toujours pairs et sont marqués en déplaçant un jeton de la manière suivante :
Par exemple, un joueur a déjà 6 points, son jeton se trouve à la pointe de sa flèche no 5 contre la bande médiane, s’il marque 4 points il déplace son jeton à la pointe de sa flèche no 11 contre la bande latérale, ce qui indique qu’il a maintenant 10 points. S’il gagne ensuite 2 points, il marquera 1 trou (ou 2 en cas de bredouille) en déplaçant son fichet et remettant son jeton aux talons. Dans cet exemple, le joueur annoncera en faisant ce qui vient d’être écrit : « 1 (ou 2) trou et zéro de reste », mais si au lieu de marquer 2 points il en avait marqué 4 il aurait marqué son ou ses trous et déplacé son jeton non plus à la bande mais à la pointe de la flèche no 1 en annonçant « 1 (ou 2) trou et 2 points de reste ».
Le choix des positions des huitième et dixième points est justifié par la nécessité de toujours laisser de la place dans le tablier pour jeter les dés sans risquer de bouger les jetons.
Chaque fois qu’un joueur gagne un ou plusieurs trous, il gagne une partie. Il peut gagner une partie simple (1 trou), double (2 trous), triple (3 trous) et ainsi de suite.
La bredouille est un jeton témoin utilisé pour marquer les points dans une situation particulière.
Quand un joueur réussit à marquer en une ou plusieurs fois douze points en partant du talon, sans que, dans le même temps, son adversaire n’en marque un seul, il n’avance pas d’un trou mais de deux. Pour compter ces douze points d’affilée, la bredouille est essentielle.
Le cas simple où un joueur marque ses douze points quand l’autre a toujours son jeton aux talons, ne pose pas de problème car il est évident qu’il a marqué ses douze points sans avoir été interrompu. Quand un joueur marque seul des points, il est dit en bredouille, puis s’il atteint ainsi le nombre de douze points, qu’il gagne bredouille.
Si maintenant le premier joueur à marquer, sans avoir atteint les douze points, est interrompu dans sa série par le second joueur, ce dernier peut à son tour réussir la série de douze points et gagner le droit d’avancer son fichet de deux trous. Pour se rappeler que le second joueur est en mesure d’avancer de deux trous au lieu d’un, il marquera ses points avec son jeton accompagné d’un jeton supplémentaire, la bredouille.
Si, par la suite, le premier joueur venait à marquer des points et donc interrompre la série potentielle des douze points du second, il faut renvoyer la bredouille aux talons. Le joueur perdant le jeton témoin est dit débredouillé. Les deux joueurs n’ayant plus chacun qu’un jeton, celui qui gagne ne peut avancer son fichet que d’un trou.
Il faut avancer son fichet de douze trous pour gagner une partie de trictrac.
Lorsqu’un joueur gagne une partie sur son coup de dé, il a le choix entre :
Une déclaration faite avant d’engager une action pour rester ou s’en aller doit obligatoirement être suivie d’effet. Une action engagée pour rester ou s’en aller n’est pas révocable par une déclaration[42].
La période de jeu qui s’étend entre deux positionnement des dames aux talons est appelé relevé :
Il existe un autre type de renvoi qui n’est pas lié au choix d’un joueur mais à la sortie des dames.
Appelé aussi étendard, ce petit drapeau est l’équivalent du jeton de bredouille pour la partie entière.
En tout début de la partie entière, ou tour, le pavillon se situe entre les deux fichets sur la bande des talons. Lorsqu’un joueur arrive au douzième trou sans que l’autre en ait marqué un seul, il gagne le tour bredouille. Gagner le tour bredouille se dit aussi gagner en grande bredouille. Si le premier joueur est interrompu dans sa série de douze trous par le second joueur, il n’est plus en mesure de gagner le tour bredouille. Par contre le second joueur à marquer peut désormais le faire, et pour en témoigner il s’empare du pavillon et le place dans le trou de son fichet sur la bande des talons qui vient juste d’en être libéré. Tant qu’il n’est pas interrompu par le gain d’une partie par son adversaire, il conserve le pavillon et s’il réussit à terminer le tour avec, il gagne en grande bredouille. Mais si son adversaire arrêtait sa série de douze trous, alors cet adversaire retirerait le pavillon pour le poser à côté du tablier, ce qui signifierait qu’aucun des deux joueurs ne pourrait gagner le tour bredouille.
Le jeu de trictrac était associé à l’argent et le gain du tour se chiffrait en un certain nombre de fois le montant de l’enjeu convenu au départ entre les joueurs et il n’y avait pas de renvi. Le facteur multiplicateur dépendait de la méthode choisie :
La plus ancienne[43] :
La deuxième[44] :
La dernière décrite au XIXe siècle[45] :
Cette méthode intéresse davantage le jeu par le fait que le joueur en retard peut espérer jusqu’au bout réduire les gains de l’adversaire si ce n’est gagner le tour.
Aujourd’hui, l’enjeu est 1 point et les gains d’un joueur se comptent en un nombre de points fonction de la méthode choisie.
Ces jans ne peuvent être réalisés qu’en tout début d’un relevé. Il en existe cinq :
Le tablier est composé de quatre quadrants de six flèches. Un jan de remplissage est réalisé lorsqu’au moins deux dames d’un même joueur se trouvent sur chacune des six flèches d’un de ces quadrants.
Il existe trois jans de remplissage :
Le remplissage du quadrant comportant le coin de repos du joueur adverse n’est pas réalisable du fait de l’interdiction d’occuper son coin de repos.
Lorsqu’un joueur réalise un jan de remplissage il fait son petit jan, son grand jan ou son jan de retour. L’expression faire son plein est aussi utilisée quel que soit le jan de remplissage.
Remplir est obligatoire lorsque cela est possible sous peine d’école et de fausse case.
Sur un coup de dés simple, lorsqu’un joueur n’a plus qu’une demi-case à couvrir pour faire son plein, il peut se trouver en situation de le faire par trois moyens différents, par une dame directe, par deux dames directes venant de deux flèches différentes, ou par une dame jouée tout d’une c’est-à-dire par la somme des deux dés. Sur un doublet, il n’est possible de remplir que par un ou deux moyens, par une dame directe, ou par une directe et une autre tout d’une.
Si un joueur peut remplir par plusieurs moyens, il n’est tenu de le faire que par l’un d’entre eux, selon son choix.
Dans le cas où il ne reste non pas une seule demi case à couvrir mais deux, il n’est possible de remplir que par un seul moyen, seule la dernière des deux dames jouées remplissant.
Quel que soit le plein, il rapporte par moyen possible, au joueur qui le réalise :
Lorsqu'un joueur a rempli, si pendant le ou les coups suivants il peut conserver son plein il est tenu de le faire sous peine d’école et de fausse case. Lorsqu'un joueur ne peut plus conserver un plein il le rompt. Il ne doit rompre que s’il n’a aucune autre manière de jouer.
Il n’y a qu’un seul moyen de conserver un plein qui rapporte au joueur :
Comme toujours, les points doivent être marqués avant de toucher les dames sous peine d’école.
D’un point de vue tactique, la difficulté de terminer un grand jan par la case no 7 a amené les joueurs à lui donner l’appellation de case du diable. Compléter un grand jan par la case no 10 peut s’avérer aussi très difficile si l’adversaire a des points de reste, du fait qu’il est souvent nécessaire d’exposer une dame seule sur une flèche pour se donner un maximum de chances de faire la case au coup suivant. Cette dame isolée proche du jeu de retour a une forte probabilité d’être battue à vrai et l’adversaire peut ainsi marquer un trou ou deux et s’en aller. Dans cette situation la case no 10 est aussi appelée case du diable.
Lorsque sur son coup de dés un joueur a une de ses dames qui porte sur une flèche occupée par une dame seule de l’adversaire, il bat cette dame.
Une dame peut être battue directement si sa distance à la dame qui la bat est égale au nombre de points d’un des deux dés, ou indirectement si la distance est égale à la somme des points amenés par les deux dés.
Au trictrac, une dame battue reste à sa place et celle qui la bat ne peut pas la rejoindre du fait des règles du déplacement des dames. Battre une dame se fait par conséquent toujours par puissance.
Une dame peut être battue de deux manières :
Une dame peut ainsi être battue à vrai par un à trois moyens sur un même coup simple, une ou deux fois directement et une fois indirectement, et par un ou deux moyens sur un doublet, une fois directement et une fois indirectement, tandis qu’elle ne peut jamais être battue à faux que par un seul moyen sur un même coup.
Une dame battue à vrai ne peut pas l’être à faux et inversement, mais sur un même coup il est possible de battre des dames à vrai et d’autres à faux.
Battre à vrai une dame rapporte au joueur :
Battre à faux une dame rapporte à l’adversaire :
Les points gagnés par un joueur sur son coup de dés sont marqués avant que l’adversaire marque ceux qu’il gagne pour être battu à faux, de sorte que si celui qui bat à vrai gagne une partie et s’en va, terminant ainsi le relevé en cours, son adversaire ne peut plus marquer les points pour avoir été battu à faux.
D’un point de vue tactique, l’occupation de la flèche no 10 en début de relevé peut s’avérer hasardeuse en diminuant les chances de faire le grand-jan et en pouvant être mis en état de battre à faux les dames de l’adversaire. Sa situation proche du jeu de retour donnant plus de possibilités pour battre à vrai les dames de l’adversaire dans la table des petits jans en fait souvent la case privilégiée des débutants au trictrac en dépit des risques encourus, ce qui a amené les joueurs à lui donner l’appellation de case de l’écolier. Des circonstances, notamment quand l’adversaire est le seul à avoir pris son coin de repos, peuvent rendre favorable l’occupation de la flèche no 10[47].
Il est interdit d’occuper le coin de repos de l’adversaire, mais il est possible de le battre.
Pour battre le coin de repos de l’adversaire, deux conditions préalables doivent être remplies :
Dans ces conditions, si sur un coup de dés un joueur peut virtuellement amener deux dames dans le coin de repos de l’adversaire, il le bat. Toutes les dames portant directement dans le coin de repos adverse sont susceptibles de participer au battage, avec une restriction pour celles occupant le coin de repos du joueur. Pour celles-ci, seules les surcases peuvent y contribuer.
Battre le coin de l’adverse rapporte au joueur :
Ces points sont gagnés par puissance, le coin adverse ne pouvant jamais être occupé. Le coin adverse n’est jamais battu à faux, et donc si les deux coins sont occupés, aucun des deux joueurs n’a la faculté de battre celui de l’adversaire.
Jan de récompense et jan qui ne peut sont deux expressions peu usitées.
Jan de récompense regroupe deux manières de marquer des points :
Jan qui ne peut regroupe deux manières de faire marquer des points à l’adversaire :
Dans ce tout dernier cas, le joueur n’est pas en mesure de jouer une ou deux dames. Son adversaire gagne alors :
Si un joueur donne des points à son adversaire par jan qui ne peut pour dame impuissante, et que sur le même coup il conserve son grand jan, il doit marquer les points de conservation, c’est ce qui s’appelle conserver par impuissance.
La règle la plus haute du jeu qui demande de jouer les deux dés et, si l’on ne peut en jouer qu’un, de jouer le plus fort doit toujours être respectée même si elle oblige à rompre un plein.
Lorsqu’un joueur a amené toutes ses dames dans le dernier quadrant, il est en mesure de les sortir du tablier. Cependant les règles du plein et de sa conservation doivent être respectées concernant le jan de retour.
Deux méthodes pour sortir les dames ont coexisté :
C’est la méthode rapide qui a prévalu. Elle ne diffère pas de celle utilisée au backgammon qui respecte ces règles :
Être le premier joueur à sortir ses quinze dames du tablier rapporte :
Si sur le dernier coup il ne reste plus qu’une dame à sortir et que le montant d’un seul dé suffit, cela ne change rien au marquage des points gagnés et le deuxième dé est ignoré.
Une fois les points marqués, les deux joueurs remettent les dames aux talons mais gardent celles qui sont de leur côté. Ils changent donc de couleur de dames pour jouer un nouveau relevé.
Si aucun trou n’a été gagné sur le coup, les points acquis sont conservés par les deux joueurs.
Le privilège de commencer le relevé suivant revient toujours à celui qui a sorti ses dames le premier.
La méthode lente, ou « provinciale », consistait à jouer dans le tablier tout ce qui était jouable et il n’était admis de sortir que les dames les plus éloignées de la bande des talons si les dés le permettaient. Une exception à cette règle faisait qu’un joueur ayant réussi son jan de retour pouvait le conserver en sortant ses dames surnuméraires si elle portaient précisément sur la bande des talons. Le joueur pouvait ainsi conserver par privilège au maximum trois fois.
Trois manières de marquer des points ont été abandonnées au cours de la première moitiè du XVIIe siècle :
Aujourd’hui, ces trois jans peuvent être joués de manière optionnelle par convention entre les joueurs avant le début du tour.
Points par simple par moyen |
Points par doublet par moyen |
Nombre de moyens possibles |
Bénéficiaire | |
---|---|---|---|---|
« JAN RARE » | ||||
Jan de six tables | 4 | n/a | 1 | Joueur |
Jan de deux tables | 4 | 6 | 1 | Joueur |
Jan de mézéas | 4 | 6 | 1 | Joueur |
Contre jan de deux tables | 4 | 6 | 1 | Adversaire |
Contre jan de mézéas | 4 | 6 | 1 | Adversaire |
« JAN DE RÉCOMPENSE » | ||||
Battre à vrai une dame située dans la table des grands jans |
2 | 1, 2 ou 3 | Joueur | |
4 | 1 ou 2 | Joueur | ||
Battre à vrai une dame située dans la table des petits jans |
4 | 1, 2 ou 3 | Joueur | |
6 | 1 ou 2 | Joueur | ||
Battre le coin adverse | 4 | 6 | 1 | Joueur |
« JAN QUI NE PEUT » | ||||
Battre à faux une dame située dans la table des grands jans |
2 | 4 | 1 | Adversaire |
Battre à faux une dame située dans la table des petits jans |
4 | 6 | 1 | Adversaire |
Pour chaque dé non jouable (dame impuissante) | 2 | 2 | n/a | Adversaire |
« JAN DE REMPLISSAGE » | ||||
Faire un petit jan, un grand jan ou un jan de retour | 4 | 1, 2, ou 3 | Joueur | |
6 | 1 ou 2 | Joueur | ||
Conserver un petit jan, un grand jan ou un jan de retour | 4 | 6 | 1 | Joueur |
« AUTRE » | ||||
Sortir le premier toutes ses dames | 4 | 6 | n/a | Joueur |
(n/a = non applicable)
Une partie de trictrac se décompose en périodes ou évènements :
Le jeu de retour commence lorsqu’un des joueurs passe au moins une de ses dames du côté de l’adversaire. Le déplacement des dames est restreint par les règles du passage au jeu de retour :
Stratégiquement, le jeu de retour se joue différemment du jeu ordinaire. Les objectifs consistent :
Il est toujours possible d’interrompre le jeu de retour en s’en allant après le gain d’un trou sur son propre coup de dés. Les dames passées au retour peuvent battre des dames adverses attardées et inversement.
Une enfilade est une série importante de trous réussie sans interruption dans un même relevé. On parle généralement d’enfilade à partir de cinq à six trous d’affilée.
L’enfilade est le grand coup recherché au trictrac. Elle est à l’origine de l’expression, aujourd’hui vulgaire, être enfilé ou se faire enfiler[53].
Elle se réalise le plus souvent quand un joueur a fait son grand jan tout en ayant ses trois dames surnuméraires suffisamment en arrière pour le maintenir le plus longtemps possible et être battues à faux, et que dans le même temps l’adversaire ne peut plus faire son propre grand jan laissant des passages aux dames surnuméraires adverses.
Pour limiter les effets d’une enfilade, il est important de la prévoir et de sacrifier plusieurs trous pour amener l’adversaire à s’en aller et ne pas perdre le tour sur l’enfilade.
Les incidents de jeu sont de deux types :
Le traitement de la fausse case et des écoles est fait par l’adversaire de l’auteur des incidents. Chacun des joueurs est l’arbitre de l’autre, ce qui implique une attention permanente.
Lorsqu’un joueur effectue un déplacement illégal de ses dames, il fait fausse case. D’une manière générale, un joueur n’a jamais le droit de reculer une de ses dames. Ce recul signifiant toujours que l’on s’en va à la suite du gain d’une partie sur son propre coup de dé. Un joueur ne fait pas fausse case en touchant les dames de son adversaire.
Les cas de fausse case ont lieu lorsque :
Du fait de la règle dame touchée, dame jouée, il n’est pas toujours nécessaire qu’une dame ait été effectivement déplacée pour qu’il y ait fausse case. Il suffit de voir où elle peut aboutir.
La règle dame lâchée, dame jouée interdit au joueur de modifier lui-même sa position.
Tous les cas de fausse case font l’objet d’une correction de la part de l’adversaire dans le respect des règles du déplacement des dames. L’adversaire est uniquement maître des dames qui ont contribué à la fausse case.
Le traitement de la fausse case dépend des cas rencontrés :
Les règles sévères régissant la fausse case trouvent principalement leur justification dans le fait que les points amenés par les dés ne concernent pas seulement le joueur qui a jeté les dés mais aussi son adversaire.
Dans le cas du backgammon, la règle très libérale concernant le déplacement des dames permet de revenir sur un mouvement de dame tant que l’on n'a pas retiré ses dés du tablier, la seule contrainte étant que l’on doit jouer d’une manière claire. Ceci est rendu possible par l’utilisation de deux paires de dés, une par joueur, et par le fait que seul le joueur qui a jeté les dés est acteur sur le coup.
Au trictrac, il n’est pas possible d’utiliser deux paires de dés du fait que le joueur qui a jeté les dés n’est pas le seul à exploiter les nombres qu’ils ont amenés et ce n’est que l’adversaire qui peut relever les dés étant le dernier à les exploiter. Ainsi ce ne peut pas être le fait de relever les dés qui témoigne de la fin du déplacement des dames, mais celui d’avoir terminé effectivement ce déplacement.
L’adversaire étant généralement maître de tenir compte ou non de la fausse case, il lui est loisible de laisser le joueur fautif se reprendre, mais s’il veut appliquer le règlement à la lettre, il ne peut y avoir de contestation.
On appelle école toute erreur de comptage des points gagnés sur un coup. Le joueur fautif fait école des points correspondant à la différence entre ceux qu’il a marqués et ceux qu’il aurait dû marquer. Son adversaire l’envoie à l’école sans être tenu d’en donner la raison. Il existe de nombreux cas d’école mais quatre sont essentiels :
Pour plus de clarté dans le jeu, il est préférable d’attendre pour marquer l’école que le joueur fautif ait, suivant le cas, touché une de ses dames ou jeté les dés.
Toute école peut être contestée par celui qui l’a subie selon une procédure pouvant comporter deux phases :
Les écoles doivent toujours profiter à celui qui ne les a pas commises sans pour autant qu’il en puisse abuser. Dans cet esprit, trois règles sont applicables lors du traitement des écoles :
Les actions se font dans l’ordre suivant :
Cette chronologie est notamment importante pour savoir qui est vraiment en bredouille et quand.
De 1634 à 1852, sept ouvrages importants sur le jeu de trictrac ont été édités et réédités pour certains avec des corrections et des ajouts. Depuis 1852, aucun traité comparable n’a vu le jour, si ce n’est des petits fascicules de règles du jeu comportant souvent des erreurs et ne se suffisant pas à eux-mêmes pour un apprentissage correct du trictrac.
La méthode de Lepeintre pour enseigner le trictrac se rapproche de celle de Soumille. Elle consiste à raconter l’histoire d’un jeune homme du nom de Kermadeuc qui pour obtenir la main de celle qu’il aime apprend d’un vieil ermite à jouer savamment au trictrac, jeu préféré de la mère de la jeune fille. Pouvant ainsi passer de longues heures à jouer avec la mère, il en obtient de bonne grâce la main de sa fille. Le traité est en grande partie constitué par la narration de l’apprentissage de Kermadeuc.
Au nombre de deux, ils reprennent largement le travail fait par un ou plusieurs de leurs prédécesseurs. Les auteurs le signalent en citant leurs sources et précisent qu’ils veulent être utiles aux lecteurs grâce à une meilleure organisation et à la correction d’erreurs. Ils apportent des précisions, une vision du jeu et un vocabulaire de leur époque.
L’auteur précise avoir fait don du livre à la « Communauté de la Providence de La Flèche », afin que les revenus dégagés par les ventes viennent en aide aux religieuses dans le secours des pauvres et des orphelins.
Si seuls les traités peuvent permettre de jouer au Trictrac étant donné la complexité du jeu, d'autres auteurs se sont essayés à en rédiger des règles le plus souvent à l'aide d'extraits des différents traités. Toujours succinctes, ces règles ne peuvent en aucun cas permettre de pratiquer le jeu mais contribuent à le faire connaître en en donnant une idée générale.
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