tradition historique tendant à faire l'apologie du règne d'Alexandre le Grand De Wikipédia, l'encyclopédie libre
La Vulgate d’Alexandre le Grand (du latin vulgata, «vulgaire» dans le sens «commun») est l'expression qualifiant depuis le XIXesiècle une tradition historique qui présente une vision apologétique du règne d'Alexandre le Grand. Cette tradition, qui mêle faits tangibles et légendes, est issue de Clitarque, contemporain de la conquête de l'Asie, dont l'Histoire d'Alexandre est la source commune des historiographes antiques, Diodore de Sicile, Trogue-Pompée et Quinte-Curce. On distingue, mais sans l'opposer complètement, la tradition de la Vulgate à celle issue d'Arrien et de Plutarque, qui s'inspirent eux des Mémoires d'Aristobule et de Ptolémée.
La Vulgate d'Alexandre est un concept défini pour la première fois par Karl Raun en 1868[1]. Il est issu en droite ligne de l'œuvre, désormais perdue, de Clitarque d'Alexandrie[2]. Dès le règne d'Alexandre, Clitarque commence à collecter de nombreux témoignages en Grèce où il réside jusqu'en 308 av. J.-C. Le long séjour qu'il entreprend en Égypte, où la popularité d'Alexandre le Grand est savamment entretenue par Ptolémée, conforte définitivement une représentation panégyrique de la conquête. Clitarque nourrit son récit d'une tradition orale et populaire, mais aussi de documents officiels et de rapports (plus ou moins objectifs) des contemporains de la conquête. Il consulte notamment, pour la dernière partie de son œuvre, les écrits d'Onésicrite, de Néarque et d'Aristobule. Cette tradition orale, qui ne saurait être dévaluée, fait par exemple défaut à Arrien dans l’Anabase, dont l'exposé s'intéresse davantage au fait militaire.
L'Histoire d'Alexandre de Clitarque a inspiré (directement ou indirectement via un éventuel, mais peu probable, abréviateur) Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, Quinte-Curce ainsi que l'anonyme Épitomé de Metz(en)[3]. Ils reprennent à leur compte quelques-unes des fables et anecdotes qui forgent encore de nos jours une part du mythe d'Alexandre[4]. On constate également chez ces historiens des similitudes dans l'ordre du récit et l'expression[5]. Ainsi, Diodore fait d'Alexandre tout au long du livre XVII le représentant du souverain idéal, mais il faut bien observer que Diodore s’appuie sur ses propres critères moraux et que la figure d'Alexandre est fort populaire du temps de la République romaine. Clitarque est la principale source de Diodore, qu'il ne cite pas pourtant[6]. Trogue-Pompée représente également Alexandre en héros, mais peu à peu perverti par la conquête et la fascination de l’Orient[7]. Quant à Quinte-Curce, il s'appuie sur Clitarque dans nombre de ses passages élogieux envers Alexandre.
La Vulgate se démarque, sans toutefois la contredire sur les faits essentiels, de la tradition historique issue d'Arrien et de Plutarque[8] qui puisent eux leurs sources dans les Mémoires d'Aristobule et Ptolémée, jugés depuis l'Antiquité comme étant plus fiables que l'œuvre de Clitarque. Les historiens modernes ont néanmoins tenté de prouver que ces deux traditions se rapprochent. On constate en effet de nombreux croisements entre les sources de la Vulgate et celles d'Arrien; il faut également souligner le manque d'impartialité dans les récits d'Aristobule et de Ptolémée, à qui on ne peut donc pas accorder une totale confiance. Finalement, il ne faudrait pas considérer les divergences entre les deux traditions comme la preuve systématique d'une fabulation de Clitarque.
La tradition panégyrique née de Clitarque inspire encore aujourd’hui une part du mythe d'Alexandre via les récits de Diodore de Sicile, Trogue-Pompée (résumé par Justin) et Quinte-Curce ou les quelques rares fragments de l'Histoire d'Alexandre. On peut offrir une liste non exhaustive de quelques-unes de ces légendes, la plupart du temps identifiées comme telles par Arrien et Plutarque[9]:
Alexandre est présenté comme l'émule de Dionysos et l'héritier d'Héraclès;
Alexandre déclare à un Compagnon que «Cratère, certes, aimait son roi, mais qu'Héphaistion aimait Alexandre»[11];
Clitarque adopte une version mythologique de la visite à l'oracle d'Ammon à Siwa, au détriment des pèlerinages à Delphes et à Gordion qu'il néglige ostensiblement;
Alexandre a rencontré la reine des Amazones durant la campagne contre les Scythes[12];
D'après Clitarque, Ptolémée a sauvé la vie d'Alexandre lors de l'assaut d'une forteresse dans le Penjab. Ptolémée rétablit la vérité dans ses Mémoires en concédant qu'il se trouvait ailleurs en opération[13];
Alexandre, mourant, confie l’anneau royal à Perdiccas[14].
Clitarque se fait l'écho d'une rumeur propagée par Olympias qui accuse les fils d'Antipater, Iolas et Cassandre, d'avoir empoisonné Alexandre[15];
«De Clitarcho Diodori, Curtii, Justini auctore» (1868), étoffé ensuite par E. Schwartz («Curtius», RE, 4-5, 1901-1903) et Felix Jacoby («Kleitarch», RE, 11, 1931).
Il n'en reste que quelques rares fragments compilés par Felix Jacoby (Fragmente der griechischen Historiker, 137, 1923-1930) et Janick Auberger (Historiens d'Alexandre, Les Belles Lettres, Paris, 2001).
Cet épitomé, basé sur un manuscrit détruit en 1944 mais retranscrit, compile deux abrégés, très proches de la Vulgate. Les deux textes ont des origines distinctes mais ont été rassemblés par un même abréviateur. Le premier narre les hauts faits l'expédition d'Alexandre de la mort de Darius III jusqu'en Inde, il est proche de Quinte-Curce mais donne des informations inconnues par ailleurs. Le second raconte la mort et le testament du souverain, certaines données retranscrites s’inspirent d’une tradition divergente de la Vulgate, proche du pseudo-Callisthène et potentiellement d’Onésicrite, la datation de cette section divise les philologues.
Goukowsky 1976, p.IX-XVIII. Ce n'est pas l'unique source de Diodore (subsitut sur les origines de Darius III ou des traités techniques pour la description de machines). Les théories sur la Quellenforschung de Diodore se basant sur une utilisation de plusieurs sources primaires ou des intermédiaires (Douris, Diyollos, Timagène ou un anonyme) sont rejetés.
Trogue-Pompée condamne en effet, selon sa propre éthique, le goût d’Alexandre pour le faste oriental (Justin, Abrégée des Histoires Philippiques, XI, 10, 2; XII, 3, 8-12), sa prétention à se faire adorer comme un dieu (XI, 11, 6; XII, 7, 1) et son homosexualité (XII, 12, 11).
Sont présentées ici les principales anecdotes, citations ou fables issues de la Vulgate; il serait fastidieux d'exposer les très nombreuses variantes entre la Vulgate et les récits d'Arrien ou de Plutarque.
Diodore, XVII, 118, 1-2; Quinte-Curce, X, 10, 14-18; Justin, XII, 13. Les auteurs de la Vulgate font part de cette rumeur sans véritablement la cautionner.
J. Auberger, Historiens d'Alexandre, Les Belles Lettres, Paris, 2001 (traduction des fragments avec texte bilingue).
(en) B. Bosworth, «Arrian and the Alexander Vulgate», dans Alexandre le Grand: Image et réalité, Entretiens sur l'Antiquité classique, XXII, Genève, 1976, p.1-46.
Notice à Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, Les Belles Lettres, 1976, p.9-31; notes complémentaires, p.165-277, passim;
Essai sur les origines du mythe d’Alexandre, Université de Nancy, 1978.
(en) N.G.L. Hammond, Three Historians of Alexander the Great: the so-called Vulgate Authors, Diodorus, Justin and Curtius, Cambridge University Press, 1985.
C. Mossé, Alexandre, la destinée d'un mythe, Payot, 2001.
(en) L. Pearson, The Lost Histories of Alexander the Great, American Philological Association, 1960, p.212-242.
J. Thérasse, «Vulgate d'Alexandre», L'Antiquité classique, no37 (1968), p.551 et p.85-88.