Le théorème H—parfois prononcé théorème Êta—[1] est un théorème démontré par Boltzmann en 1872 dans le cadre de la théorie cinétique des gaz[2],[3]. Il décrit l'évolution vers l'équilibre thermodynamique d'un gaz satisfaisant à l'équation de Boltzmann et subissant des interactions élastiques. Selon ce théorème, il existe une certaine grandeur qui varie de façon monotone au cours du temps, pendant que le gaz relaxe vers l'état d'équilibre caractérisé par la loi de Maxwell pour les vitesses des particules du milieu. Cette quantité varie à l'opposé de l'entropie thermodynamique.
En prenant la demi-somme des deux expressions de la dérivée de H il vient
On obtient deux nouvelles expressions de la dérivée en intervertissant les indices i et j dans les deux expressions équivalentes ci-dessus. On prend alors le quart de la somme de toutes ces expressions pour obtenir l'équation souhaité.
L'intégrande est de la forme :
si x > y alors les deux parties sont positives,
si x < y alors les deux parties sont négatives.
Dans tous les cas ce terme est donc positif ou nul et l'intégrale est elle-même positive ou nulle, donc:
La vitesse à laquelle relaxe le milieu a fait l'objet de nombreuses études centrées autour de la conjecture de Cercignani.
Loschmidt puis Zermelo formulèrent des critiques virulentes contre le théorème H, Boltzmann étant accusé de pratiquer des «mathématiques douteuses».
Le paradoxe de la réversibilité
Le paradoxe de Loschmidt (1876)
Loschmidt[7],[8] se demande comment la grandeur peut varier de façon monotone au cours du temps alors que la description du système en mécanique classique par l'équation de Liouville est réversible. En effet, si la fonction était en train de décroître et qu'à un instant donné, on renverse exactement toutes les vitesses de molécules, alors la nouvelle évolution se fait à l'envers, avec commençant par croître. La réponse de Boltzmann fut brève: «Allez-y, renversez les!», signifiant l'impossibilité pratique d'une telle opération[N 1].
Avec la découverte du phénomène de sensibilité aux conditions initiales caractéristique des systèmes chaotiques, nous savons aujourd'hui qu'une inversion approchée des vitesses va rapidement entraîner une déviation par rapport à l'orbite initiale exacte inversée, et ce aussi petites que soient les erreurs introduites sur les conditions initiales. Des simulations numériques montrent alors qu'après une inversion approchée, la fonction commence bien par croître comme le prédisait Loschmidt, mais qu'elle se remet très rapidement à décroître à nouveau et ce pour presque toutes les conditions initiales approchées, l'orbite réelle du système différant de l'orbite initiale exacte inversée.
Le paradoxe de Zermelo (1896)
En 1890, alors qu'il étudie le problème à 3 corps en mécanique céleste, Poincaré démontre un théorème très général: le théorème de récurrence[9],[10]. Ce théorème dit que, pour presque toutes les conditions initiales, un système dynamique conservatif dont l'espace des phases est de volume fini[N 2] va repasser au cours du temps aussi près que l'on veut de sa condition initiale, et ce de façon répétée[N 3].
Zermelo[11] fait alors remarquer à Boltzmann en 1896 que le théorème de récurrence de Poincaré semble contredire le fait qu'une grandeur dynamique puisse varier de façon monotone, comme le fait. La réponse de Boltzmann[12],[13] consiste à estimer le temps de récurrence moyen: pour un gaz macroscopique contenant molécules, Boltzmann estime celui-ci d'ordre , une durée qui est largement supérieure à l'âge de l'univers[14] lorsque ; les récurrences sont donc invisibles à notre échelle (voir illustration à Modèle des urnes d'Ehrenfest#Dynamique du modèle.).
Le «modèle des urnes» est un modèle stochastique introduit en 1907 par les époux Paul & Tatiana Ehrenfest[15] pour clarifier les paradoxes précédents apparus à la fin du XIXesiècle dans les fondements de la mécanique statistique[16]. Ce modèle est parfois également appelé le «modèle des chiens & des puces»[17]. Le mathématicien Mark Kac a écrit[18] à son propos qu'il était «probablement l'un des modèles les plus instructifs de toute la physique».
Ce modèle est exactement soluble; en particulier, on sait calculer le temps de récurrence moyen de chaque état, ainsi que sa variance pour certains états intéressants.
Le théorème de Lanford (1973)
Lanford a démontré rigoureusement[19],[20] qu'un gaz de sphères dures dilué dans obéit à l'équation de Boltzmann dans la loi d’échelle de Boltzmann-Grad, au moins pour un temps très court, égal seulement à un cinquième du temps de parcours moyen d'un atome[N 4].
En dépit de cette restriction sur la durée, ce théorème mathématique rigoureux est très important conceptuellement, puisque l'équation de Boltzmann entraîne le théorème H. Il est donc aujourd'hui acquis que les mathématiques de Boltzmann ne sont pas «douteuses».
D'autre part, des résultats plus récents, obtenus notamment par Bodineau, Gallagher et Saint-Raymond, ont permis d'établir la validité de l'équation de Boltzmann linéaire à partir des équations newtoniennes régissant le mouvement des particules individuelles sur des temps tendant vers l'infini avec le nombre de particules[21],[22]. Il s'agit donc d'un résultat bien plus fort.
En fait, la théorie des gaz de Boltzmann n'est pas réversible en raison d'une hypothèse dite du «chaos moléculaire» utilisée pour traiter les chocs entre deux molécules. Cette hypothèse énonce qu'avant un choc, les deux vitesses de chaque molécule sont indépendantes, mais corrélées après ce choc. Elle est nécessaire car la description du système se fait par une distribution de vitesses seulement, les positions étant inconnues.
Par exemple, les molécules sont contenues dans un récipient de volume fini, excluant ainsi que les positions deviennent infinies. On supposera également que les vitesses restent toujours finies.
Il existe quelques états exceptionnels pour lequel ceci n'est pas vérifié, mais ces états exceptionnels sont négligeables parmi tous les états possibles, et ce en un sens qui peut être rendu mathématiquement précis.
(de) Johann Loschmidt, «Uber das Wärmegleichgewicht eines Systems von Körpern mit Rücksicht auf die Schwere», Sitzungsberichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften Wien, Mathematisch-Naturwissenschaftliche Classe, vol.73, , p.128-142
(de) Johann Loschmidt, «Uber das Wärmegleichgewicht eines Systems von Körpern mit Rücksicht auf die Schwere», Sitzungsberichte der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften Wien, Mathematisch-Naturwissenschaftliche Classe, vol.75, , p.67
François Golse, «De Newton à Boltzmann et Einstein: validation des modèles cinétiques et de diffusion,», Asterisque, vol.367-368, , p.285 (lire en ligne, consulté le )
(en) Thierry Bodineau, Isabelle Gallagher et Laure Saint-Raymond, «The Brownian motion as the limit of a deterministic system of hard-spheres», Inventiones mathematicae, vol.203, no2, , p.493–553 (ISSN1432-1297, DOI10.1007/s00222-015-0593-9, lire en ligne, consulté le )
(en) Sheldon Goldstein et Joël L. Lebowitz, «On the (Boltzmann) Entropy of Nonequilibrium Systems», Physica D, vol.193, , p.53-66 (lire en ligne)
(en) P. L. Garrido, Sheldon Goldstein et Joel L. Lebowitz, «The Boltzmann Entropy for Dense Fluids Not in Local Equilibrium», Physical Review Letters, vol.92, (lire en ligne)