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Les systèmes bismarckiens (Bündnispolitik, littéralement : politique d'alliances) sont les alliances stratégiques mises en place par Otto von Bismarck, chancelier allemand, de l'unification allemande en 1871, à son départ du pouvoir en 1890. L'objectif des systèmes bismarckiens est de sécuriser les frontières du nouvel Empire allemand, et cela en passant par l'entretien de bonnes relations, à la fois avec l'Autriche-Hongrie et la Russie, malgré la rivalité des deux pays dans les Balkans, tout en isolant la France.
Bismarck est conscient de la situation géographique exposée de l'Allemagne et craint une guerre sur deux fronts (Zwei-Fronten-Krieg). De plus, le renforcement militaire et économique de l'Allemagne par la création de l'empire signifie un changement dans l'équilibre des puissances européennes. Le but principal de Bismarck consiste à en mettre un nouveau en place en Europe à l'aide d'une politique extérieure particulièrement modérée, qui contraste avec le pouvoir autoritaire de sa politique intérieure. Par ailleurs, la France éprouve envers Bismarck un sentiment de revanche à cause de la perte de l'Alsace-Lorraine. Bismarck sait qu'une réconciliation avec la France est impossible et qu'il doit faire face à une rivalité durable avec son voisin de l'ouest.
Pour échapper au « cauchemar des coalitions », il décide de créer une situation dans laquelle toutes les puissances auraient besoin de l'Allemagne, comme il le résume dans le Kissinger Diktat de 1877. Il s'agit donc d'instaurer de bonnes relations avec les pays autres que la France. C'est ainsi qu'il va élaborer de nombreuses alliances avec les autres puissances européennes, alliances stratégiques que l'on nomme Systèmes bismarckiens.
L'Entente des trois empereurs (Dreikaiserabkommen) est le premier système bismarckien : il s'agit d'une alliance entre l'Empire allemand, l'Autriche-Hongrie et l'Empire russe, mise en place en 1873. Les buts de Bismarck sont les suivants : la Russie doit être tenue à l'écart de la France par une alliance avec l'Allemagne, et une réconciliation avec l'Autriche-Hongrie doit être envisagée pour retirer à la France la possibilité d'avoir un éventuel allié. Malgré le conflit au sujet des intérêts entre l'Autriche et la Russie, Bismarck arrive à éveiller des intérêts communs : la solidarité entre les régimes monarchiques, le combat contre le Socialisme...
Toutefois, cette alliance n'est pas à toute épreuve. Il apparait ainsi en 1875, lors de la crise Krieg-in-Sicht, qu'en cas d'attaque de l'Allemagne contre la France, le scénario le plus vraisemblable serait une alliance de la Grande-Bretagne et de la Russie avec cette dernière.
Cependant, cette alliance n'est seulement maintenue que jusqu'en 1878. Lors du congrès de Berlin, organisé par Bismarck en , ce dernier tente avec succès de servir de médiateur entre l'Autriche et la Russie (c'est le point fondamental de la diplomatie bismarckienne). Il joue le rôle d'honnête agent de change (ehrlicher Makler) et réussit à manifester des volontés de paix, de délimitation de l'Allemagne et en même temps à démontrer également son rôle diplomatique central en Europe et, par conséquent, à isoler la France.
La Duplice (Zweibund) créée en 1879, concerne l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne, qui signent tous deux un accord secret défensif dirigé contre la Russie et contre son éventuel allié, la France. Cet accord assure un soutien mutuel dans le cas d'une attaque russe. Selon Bismarck, la Russie est un partenaire auquel on ne peut pas se fier, mais reste cependant un partenaire important.
Mis en place en 1881, le nouveau Traité des trois empereurs (Dreikaiserbündnis) allie l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les trois pays s'assurent une bienveillante neutralité dans le cas d'une guerre. Cependant, la rivalité entre la Russie et l'Autriche n'est pas adoucie. Mais pour Bismarck, ce renouvellement de l'entente des trois empereurs est un moyen d'éviter la guerre sur deux fronts. En 1884, le traité est ainsi renouvelé pour les trois années suivantes mais, par la suite, la Russie se retire du traité.
Créée en 1882, la Triplice, ou Dreibund en allemand, concerne l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie. Il s'agit en fait d'une extension de la Duplice, mais avec l'Italie, elle devient la Triplice. Les trois pays s'assurent donc une protection et une aide réciproque dans le cas d'une attaque française. L'Italie se sent, elle, menacée par la politique coloniale de la France en Tunisie.
En 1887, le Traité de réassurance (Rückversicherungsvertrag) unit à nouveau l'Allemagne à la Russie impériale. Après cinq mois de négociations, les engagements de neutralité des deux pays sont actionnés et renforcés en cas d'une attaque autrichienne contre la Russie ou d'une guerre entre la France et l'Allemagne, quel que soit l'attaquant. De plus, l'Allemagne se déclare prête à soutenir les intérêts de la Russie en ce qui concerne la question des Balkans et des détroits.
Chaque alliance de Bismarck manifeste une Realpolitik en faveur de l'Allemagne, avec la préoccupation permanente de protéger l'Allemagne dont la situation géographique est très exposée en Europe centrale. Les alliances sont aussi un moyen de renforcer la puissance du pays ainsi que l'image de Bismarck. Bismarck cherche à maintenir de bonnes relations avec le maximum de puissances de façon à disposer du maximum de possibilités, en évitant à tout prix de se retrouver isolé. Bismarck cherche par ailleurs à disposer de ces choix le plus tard possible. En restant en retrait pour être le dernier pays à s'engager, l'Allemagne (ou la Prusse) peut promouvoir au mieux son intérêt. C'est d'ailleurs par cette stratégie que la Prusse a progressivement accru son pouvoir bien avant Bismarck. Les principales difficultés sont la position géographique de l'Allemagne, qui l'expose à une alliance franco-russe dévastatrice, le conflit d'intérêts entre l'Autriche-Hongrie et la Russie et l'affaiblissement historique de la légitimité conservatrice.
La première de ses alliances, l'Entente des trois empereurs comprend la Russie et l'Autriche-Hongrie, les deux plus grandes puissances européennes conservatrices. Bismarck est alors protégé de toute attaque venant de la France, que l'annexion de l'Alsace-Lorraine a définitivement aliéné, à son grand dam. Pour se prémunir complètement du Revanchisme français, Bismarck tente d'entretenir les meilleurs rapports possibles avec toutes les autres puissances. Au-delà de la première alliance, Bismarck veut subventionner une compensation d'intérêts entre la Grande-Bretagne et la Russie, bien que ces deux états maintiennent des relations tendues. Bismarck sait comment créer des points communs entre les deux empereurs : avec la critique de l'État républicain français, qu'il considère comme dangereux pour le maintien de la paix en Europe. Bismarck, qualifié ainsi d'« honnête agent de change » (ehrlicher Makler), réussit à défendre les intérêts des puissances européennes lors du Congrès de Berlin (Berliner Kongress) en 1878, où plusieurs décisions concernant les participants du congrès : la Russie, l'Autriche-Hongrie, la Grande-Bretagne, la France, l'empire ottoman, l'Italie et l'Allemagne, ont été prises.
Bismarck perd par la Duplice la Russie, en conflit avec l'Autriche-Hongrie à propos des Balkans. Bismarck considère que la Russie est indispensable à ses alliances. Alliée à la France, la Russie contraindrait l'Allemagne à se battre sur deux fronts, ce qui est un énorme avantage militaire dont Bismarck a bien conscience en maintenant la séparation entre la France et la Russie, qui ont un intérêt structurel à s'allier. Pour cela, il invoquera le rejet de la France révolutionnaire ou républicaine par les puissances conservatrices et légitimistes, tentant de restaurer la théorie de Metternich, que les Autrichiens n'ont pas conservé. Par ailleurs, une alliance avec la Grande-Bretagne est pour lui difficile puisqu'il craint que sa politique libérale n'ait des répercussions sur l'Allemagne. Dans la Duplice, l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne s'engagent dans le cas d'une attaque russe à s'aider. Cependant, elles restent neutres dans le cas d'une attaque venant d'une autre puissance. Il s'agit donc d'un traité défensif (Defensivbündnis).
Ensuite, le Traité des trois empereurs permet à l'Allemagne de se protéger à nouveau du danger d'une guerre sur deux fronts. Cette alliance est devenue véritablement solide lorsque l'opposition entre la Russie et l'Autriche-Hongrie, à propos des Balkans, fut circonscrite. Le Traité des trois empereurs marque le couronnement de la politique extérieure de Bismarck.
On constate donc que la politique extérieure de Bismarck, qui consiste à créer des alliances entre les puissances européennes afin de protéger l'Allemagne de sa situation géographique et de mettre la France à l'écart, en raison d'un sentiment de revanche que celle-ci éprouve envers l'Allemagne, est avant tout une habile stratégie. Ses alliances, appelées « Systèmes bismarckiens », renforcent l'image politique du chancelier, qui réussit, de ce fait, à maintenir un état de paix entre les puissances européennes.
D'ailleurs, l'empereur Guillaume Ier soutient le Reichskanzler (chancelier) jusqu'à la fin de son règne. Cependant, avec la fin du règne de Guillaume Ier et l'arrivée au pouvoir de son petit-fils Guillaume II, le succès de la politique extérieure bismarckienne prend une autre tournure. L'empereur aspire à un « règne plus personnel » et reproche à Bismarck de ne pas l'avoir assez tenu au courant au sujet de sa politique extérieure et de ses alliances avec la Russie. De plus, il élabore par la suite un programme socio-politique qui semble beaucoup plus libéral que celui de Bismarck.
Tout cela le pousse le chancelier à « quitter le navire » (Der Lotse verlässt das Schiff) et à démissionner le . Ce système d'alliances ne lui survivra pas. Ainsi, la même année, le Traité de réassurance ne fut pas renouvelé et la Russie s'allia avec la France en 1893, ce qui était le cauchemar de Bismarck.
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