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Les philosophes entendent par sens « la destination des êtres humains et de leur histoire, la raison d'être de leur existence et de leurs actions, le principe conférant à la vie humaine sa valeur »[1]. Le sens, c'est la « signification qu'a une chose pour une personne et constitue sa justification »[2].
La question du sens est la question par excellence de la philosophie première, c'est-à-dire de la métaphysique. Elle porte sur ses grands thèmes : la vie et la mort, la nature et l'évolution cosmique, l'histoire des hommes et l'existence individuelle, les choses et les événements, les paroles et les gestes ; et, au plus profond, sur l'être. L'existence a-t-elle un sens ou est-elle absurde ? L'histoire a-t-elle un sens (loi, orientation, signification), ou obéit-elle aux circonstances ? Et l'amour ? Et la mort ? Maurice Blondel commençait son livre sur L'action (1893) par cette question : « Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens et l'homme a-t-il une destinée ? ». Et, au deuxième degré, la question que l'on se pose sur le sens, a-t-elle elle-même un sens ? Cela a-t-il un sens de s'interroger sur le sens des êtres et des événements, de l'être en général et de la conscience ?
D'une part, sens, en métaphysique, a pour synonymes fondement, justification, raison d'être, valeur (valeur explicative, valeur morale...) ; d'autre part, la notion de sens laisse voir que la chose considérée entre dans un réseau, fait partie d'une harmonie, anime un projet, met en œuvre une pensée. Ainsi, Saint-Exupéry affirme : « Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort »[3] : la vie a de la valeur et elle en confère à la mort.
Le mot sens, en métaphysique, regroupe alors diverses acceptions :
La notion de sens couvre par conséquent trois plans :
Le premier philosophe occidental à poser la question du Sens en général est Anaxagore, vers 450 av. J.-C.
Platon admet de la non-raison (alogia) dans l'homme, dans le monde. L'âme humaine est composée de trois éléments, une partie faite de raison (logistikon), mais aussi une partie faite d'agressivité (thumos) et une partie faite d'appétit (epithumia) (La République, 436-441, 611b). Platon, dans le Timée, explique le monde avec cinq principes : les idées, le démiurge, l'âme du monde, le corps du monde, la khora (matière, réceptacle). La khora est le réceptacle du devenir, c'est un lieu étrange (Timée, 49a), difficile à comprendre (51ab), qu'on ne saisit que par « un raisonnement bâtard » (52b).
Dans le stoïcisme, le monde a un sens dans la mesure où il est Dieu-même, et Destin, enchaînement rationnel de causes et d'effets.
Leibniz, en plein rationalisme, voit de toutes parts de la raison, donc des causes, du sens. C'est le principe de raison suffisante (principium reddendae rationis), défendu dès 1668 dans la Confessio naturae. Tout est justifié, du moins idéalement, et sur deux plans, celui de l'existence, de la quoddité (les choses ont leur raison d'être), et celui de l'eccéité, des propriétés individuelles, des essences particulières (les choses ont leur raison d'être telles qu'elles sont). L'ordre universel est entièrement intelligible. L'harmonie couvre tout, et elle s'explique d'une part par des règles de logique, d'autre part par un plan divin, qui obéit aux règles de la logique (non-contradiction, économie, finalité, variété, continuité...). Dans un petit essai intitulé Essai sur la toute-puissance et l'omniscience de Dieu et sur la liberté de l'homme[4], Leibniz désigne Dieu comme l'origine ultime de toutes choses, la raison pour laquelle quelque chose existe plutôt que rien (quoddité) et ainsi plutôt qu'autrement (eccéité).
« Nos raisonnements sont fondés sur deux grands principes, celui de la contradiction, (...) et celui de la raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu'aucun fait ne saurait se trouver vrai ou existant, aucune énonciation véritable, sans qu'il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement. Quoique ces raisons, le plus souvent, ne puissent point nous êtres connues. »
— Leibniz, Monadologie, § 31-32
Kant voit la causalité quelque peu comme Leibniz, partout dans le phénomène, mais c'est au sujet à construire le phénomène de façon causale. Schopenhauer simplifie en disant que la causalité est le seul principe de construction du phénomène, où tout événement est lié à une cause. Le noumène, au contraire, n'a pas de sens causale (voir ici bas).
Hegel, dans ses Principes de la philosophie du droit (1821) met la raison au centre de tout, en particulier de l'État et de l'histoire universelle. Voici quelques-unes de ses formules célèbres à ce sujet :
« L'élément de l'existence empirique de l'Esprit universel qui, dans l'art, est intuition et image, dans la religion sentiment et représentation, dans la philosophie pensée pure et libre, est dans l'histoire mondiale la réalité spirituelle dans toute son étendue d'intériorité et d'extériorité... Dans ce travail de l'Esprit du monde, les États, les peuples et les individus apparaissent chacun avec leur principe particulier déterminé, qui s'explicite et devient réel dans leur constitution et dans l'étendue de leurs situations. Tout en ayant conscience de cette réalité particulière et en étant absorbés par ses intérêts, ils sont néanmoins les instruments et les organes inconscients de cette activité intense de l'Esprit. Au cours de cette activité, ces figures particulières disparaissent, mais l'Esprit en soi et pour soi se ménage et prépare par son travail le passage à son niveau suivant, plus élevé que le précédent. »
— Hegel, Principes de la philosophie du droit (1818), III, § 341-343
C'est la « raison dans l'histoire », et Hegel parle des « ruses de la raison » : les acteurs de l'histoire (Alexandre le Grand, Jules César, Napoléon) incarnent l'unité de l'universel et du particulier. Mus par leur ambition, ils réalisent à leur insu ce que le temps a rendu nécessaire, et ils accouchent par la violence l'histoire d'un monde nouveau.
Schopenhauer, dans Le monde comme volonté et représentation (1813), contre Hegel, insiste sur l'aveuglement, de l'homme comme du monde. La réalité, c'est la volonté ou vouloir-vivre, qui n'est pas une faculté humaine, mais une instance anonyme et aveugle qui travaille contre elle-même, comme en témoignent les déchirements entre les vivants ou les illusions de l'amour (qui masquent aux amants le vouloir-vivre cherchant à reproduire la vie). Les individus sont illusoires et provisoires, car seule compte l'espèce.
Nietzsche est le philosophe qui fut le plus torturé par le sens. Il a focalisé sa réflexion sur le sens des valeurs.
Heidegger lie la question du sens de l'être à la notion de temps, dans Être et Temps (1927). L'être est sans raison (Ab-grund), il est donné, il ne présente pas de raison d'être. D'autre part, Heidegger pense et la question sur l'être et le questionnement sur cette question.
La philosophie de l'absurde, propre à l'existentialisme non chrétien (Jean-Paul Sartre, Albert Camus), soutient que l'existence des choses comme des hommes n'a pas de justification rationnelle. Le héros sartrien de La nausée (1936) se découvre « de trop ». Contingence, voilà le mot-clef : non-nécessité, arbitraire.
Le jésuite Pierre Teilhard de Chardin, dans toute son œuvre, mais en particulier dans Le phénomène humain (1938-1940, publié en 1955), estime que l'évolution du monde a un sens : signification et direction. Elle comporte quatre phases : prévie, vie, pensée, ultra-humain et « survie ». L'humanité, par socialisation, converge maintenant vers un point constituant le pôle supérieur de toute l'évolution, oméga ; ce stade dernier de l'évolution est de nature ultra-personnelle.
Le savant Jacques Monod s'est fait le champion du non-sens. Dans un essai retentissant, Le hasard et la nécessité (1970), il soutient que hasard et nécessité résument l'essentiel et les effets de l'évolution biologique, de la sélection naturelle opérant de façon aveugle, et de ses mécanismes. Son livre se termine par ces mots :
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