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Une préparation bactériophagique (ou plus simplement « phagique »), du grec ancien βακτήριον, bakterion (petit bâton), et φάγος, phagos (mangeur), est une solution à usage thérapeutique contenant des virus attaquant les bactéries (on parle de « bactériophages » c'est-à-dire « mangeurs de bactéries »). La préparation bactériophagique peut contenir soit un seul type de bactériophage, soit plusieurs, auquel cas on parle de cocktail bactériophagique.
Les préparations bactériophagiques sont utilisées en phagothérapie. Elles constituent une alternative aux antibiotiques et offrent des possibilités de traitement contre les germes antibio-résistantes.
Les premières préparations bactériophagiques sont fabriquées par Félix D'Hérelle en 1917, que Frederick Twort avait évoquées dès 1915. Durant la Première Guerre mondiale, D'Hérelle avait remarqué que les selles de certains soldats qui guérissent spontanément de la dysenterie contiennent un agent inconnu qui provoque des zones claires sur des plaques d'agar ensemencées de Shigella dysenteriae. Il remarque également que ces cultures de Shigella dysenteriae cultivée se retrouvent complètement lysées (tuées) en une nuit[1],[2]. Il attribue ces plaques à « un microbe invisible antagoniste du bacille dysentérique », qu’il qualifie de bactériophage, du grec phagein (« manger »)[3]. Ces plaques et leur dénombrement en Unités formant plaques (UFP) demeurent jusqu'à aujourd'hui la base de mesure du titre des préparations bactériophagiques.
En 1919 a lieu la première utilisation d'une préparation phagique à l’Hôpital Necker-Enfants malades de Paris. D'Hérelle isole des phages chez certains patients qui guérissent de la dysenterie. Puis, sous la supervision du Professeur Victor-Henri Hutinel, chef du service de pédiatrie, D'Hérelle et plusieurs autres internes de l'hôpital ingèrent un soluté contenant ces phages. N'ayant relevé aucun effet indésirable, ils administrent le soluté à un garçon de 12 ans qui souffre de dysenterie sévère. L'état du patient s'améliore rapidement et la guérison est complète en l'espace de quelques jours. Trois autres patients sont ensuite traités avec le même succès[2]. Encouragé par cette réussite, D'Hérelle prépare des préparations bactériophagiques ciblant la peste (Yersinia pestis, Égypte, 1925) et le choléra (Vibrio cholerae, Inde, 1926). Ces nouveaux médicaments sont administrés en masse en Asie et en Afrique[2],[4].
D'Hérelle ouvre un laboratoire commercial, Les Laboratoires du Bactériophage, rue Olivier-de-Serres à Paris. Il y commercialise ses solutions bactériophagiques, qui seront disponibles en France jusqu'à la fin des années 1970. Celles-ci figurent dans le dictionnaire Vidal de 1977 : Bacté-coli-phage, 22 SV 1.027 ; Bacté-intesti-phage, 22 SV 1.022 ; Bacté-pyo-phage, 22 SV 1.023 ; Bacté-staphy-phage, 22 SV 1.025 ; Bacté-rhino-phage, 22 SV 1.024, et elles sont commercialisées au prix de 12 francs (soit 8 € en 2023) la boîte de 30 ampoules de 5 ml, remboursées en partie par la Sécurité Sociale. Selon la notice, elles contenaient « par ampoule 5 milliards de bactériophages sélectionnés et adaptés pour détruire par lyse » les pathogènes[5]. Dans les années 1940, aux États-Unis, la société Eli Lilly développe aussi des solutions bactériophagiques.
L'observation et la photographie des premiers bactériophages attend l'invention de la microscopie électronique : Helmut Ruska documente en 1940 un phage actif contre E. coli[6].
L'étude expérimentale des préparations bactériophagiques se poursuit en France avec André Raiga-Clémenceau[1], dont D'Hérelle disait qu'il avait « les plus belles statistiques du monde[7] » et, à partir de 1976, avec Paul-Hervé Riche, auteur du Manuel de phagothérapie à l'usage des médecins du XXIe siècle[5] (2013). Un « Réseau Bactériophage France » se met en place en 2016[8]. La recherche se poursuit également ailleurs dans le monde, en particulier en Géorgie, à Tbilissi, où Georges Eliava (en) a créé en 1933 un Institut du bactériophage, première institution au monde intégralement consacrée au bactériophage et à ses applications thérapeutiques[4]. D'Hérelle l'y avait rejoint et avait travaillé avec lui de 1934 à 1936. Cela explique en partie que les préparations bactériophagiques soit en vente libre en Géorgie, en Russie et en Pologne.
À partir de la Seconde Guerre mondiale, l'arrivée des antibiotiques, plus faciles d'emploi et moins chers, rendent les solutions bactériophagiques obsolètes[4]. Les collections de bactériophages de l’Institut Pasteur de Paris (Pr J.F. Vieu) et de l’Institut Pasteur de Lyon (Pr J. Guillermet), qui servaient de base à l'assemblage de cocktails bactériophagiques, sont oubliées et finalement détruites[9].
L'utilisation de la phagothérapie, prometteuse en raison des bons résultats rencontrés au début du XXe siècle, s'accompagne d'une exigence de bonne qualité pharmaceutique[10],[11], même si la littérature ne rapporte aucun cas d'effets secondaires indésirables ou de problème de sécurité en général, à l'exception du risque de transfert de gènes inter-bactéries en cas d'utilisation de phages à cycle lysogénique, raison pour laquelle seuls les phages à cycle lytique sont recommandés[12].
En Allemagne, la Deutsche Sammlung von Mikroorganismen und Zellkulturen, ou DSMZ, entreprend de nombreuses recherches en collaboration avec l'Institut Eliava IBMV de Tbilissi sur le développement de nouveaux traitements bactériophagiques, notamment contre le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline[13]. Il est leader du projet européen CABRI qui développe des normes méthodologiques de qualité s'appliquant de la collecte de phages[14]. Il mène aussi le projet Phages Collector en coopération avec l'université de Braunschweig, l'université de Bielefeld, l'université de Göttingen, l'université de Hohenheim, l'université de Sarrebruck et l'École Technique de Südwestfalen, Iserlohn[13].
Phage4Cure est un projet collectif impliquant le DSMZ, le Fraunhofer Institute for Toxicology and Experimental Medicine ainsi que l'hôpital de la Charité de Berlin avec des fonds provenant du Ministère de l'éducation et de la recherche dont le but est de découvrir des phages actifs contre P. aeruginosa, et de les tester dans des essais cliniques[15],[16].
En 2016, la phagothérapie est utilisée à l'hôpital militaire de la reine Astrid situé à Neder-OverHeembeek[17].
En 2018, l'Agence fédérale des médicaments et produits de santé (AFMPS) met en place une stratégie nationale pour permettre la réalisation de préparations magistrales pharmaceutiques bactériophagiques spécifiques à chaque patient. La réglementation autorise l'emploi d'ingrédients actifs qui ne répondent pas aux exigences prévues dans une pharmacopée officielle, telle que la pharmacopée européenne ou la pharmacopée belge, et qui ne sont pas non plus l'objet d'une autorisation du ministère de la Santé publique après avis favorable de la Commission belge de la pharmacopée, sous réserve que ces ingrédients actifs soient accompagnés d'un certificat d'analyse issu d'un laboratoire agréé belge[18],[19].
En 2016, les pharmaciens sont autorisés à produire en tant que Principe actif pharmaceutique une préparation magistrale bactériophagique sous les conditions suivantes[19] :
L'Institut scientifique de santé publique rebaptisé Sciensano a été désigné comme laboratoire agréé pouvant valablement fournir des certificats d'analyse d'ingrédients actifs à base de phages[19].
En France, les bactériophages ne bénéficient pas d'une AMM, l'ANSM considérant qu'il n'existe pas suffisamment d'études cliniques. Toutefois, leur administration est autorisée sous le régime des autorisations temporaires d’utilisation nominatives (ATUn), lorsqu'il n'existe pas d'alternative thérapeutique. En 2016, ces ATUn sont limitées aux bactéries pour lesquelles il existe des produits disponibles sur le marché, à savoir Escherichia coli et Pseudomonas[10]. De 2016 à 2018, l'ANSM n'a émis aucune recommandation sur les phages[20],[21].
Au sein de l'Institut Pasteur, une première publication a lieu en 1993[22].
Aucune préparation bactériophagique n'est commercialisée en France au début du XXIe siècle[10]. « Les seuls médicaments contenant des bactériophages et dont la connaissance de la qualité pharmaceutique par l’ANSM permettrait leur autorisation dans le cadre d’ATU nominatives sont à ce jour les cocktails de bactériophages anti-Escherichia coli ou anti-Pseudomonas aeruginosa produits par la Société Pherecydes Pharma pour l’essai clinique Phagoburn (CSST 24 mars 2016)[10]. » La première préparation bactériophagique à apparaître dans les sites de référencement des médicaments français est le P. Aeruginosa PHAGE PP113 de Pherecydes Pharma, disponible uniquement sur ATUn[23],[24].
L'Assemblée nationale et le Sénat sont régulièrement questionnés sur la politique de santé en termes de lutte bactériophagique[25],[26],[27],[28],[29],[30],[31]. En 2016, un colloque se tient à l'Assemblée[32].
L'Institut George-Eliava sur les bactériophages, de microbiologie et de virologie (IBMV) est considéré comme le premier centre mondial de recherches et de connaissance en phagothérapie. L'organisation des entités d'Eliava est la suivante : L'Institut IBMV et ses scientifiques financent une organisation à but non lucratif, la Fondation Eliava. Cette Fondation Eliava chapeaute un consortium d'organisations à but lucratif constitué de : (i) Eliava BioPreparations – fabricant de solutions bactériophagiques, (ii) Eliava Media Production – production de vecteurs biologiques, (iii) Eliava Analytical-Diagnostic Center – services de diagnostic pour les patients, (iv) Eliava Phage Therapy Center – traitement des patients, et (v) Eliava Institute Authorized Pharmacy – vente des bactériophagiques élaborés par l'Institut et produits par BioPreparations[33]. L'Institut reçoit des financements américains de la Defense Threat Reduction Agency (DTRA), agence chargée de « protéger les États-Unis et ses intérêts des armes de destruction massive », qui a investi dans la rénovation du bâtiment principal et des laboratoires et qui finance plusieurs projets scientifiques, notamment sur les bactériophages contre le choléra[34].
Des cocktails bactériophagiques de l'Institut Eliava (IBMV) sont disponibles en pharmacie sans ordonnance[35],[36]. Sa filiale Eliava Biopreparations fabrique six cocktails[37]. Les cocktails sont mis à jour annuellement en ajoutant des phages ou en adaptant les préparations en fonction des germes prévalents[38]. Trois cocktails phagiques sont aussi fabriqués par JSC Biochimpharm. Ils sont conditionnés en flacon, spray, comprimés et gélules[39]. Biochimpharm a ouvert un site internet pour commercialiser ses produits par correspondance[40]. Une troisième entreprise géorgienne, BiopharmL basée à Tbilissi, fabrique aussi des phagiques distribués en pharmacie et qui y sont disponibles sans ordonnance[41]. En 2018, BioPharmL crée un partenariat avec Advanced Biophage Technologies International, LLC (ABTI) pour commercialiser ses produits à l'international[42].
La Banque de phages israélienne (Israeli Phage Bank : IPB) est hébergée par l'université hébraïque de Jérusalem. Elle inclut plus de 300 phages correspondant à 16 bactéries. Elle s'enrichit constamment de nouveaux phages. Ses phages ont une efficacité in vitro de 100 % sur la plupart des pathogènes, y compris Staphylococcus aureus, Eschericchia coli, Pseudomonas aeruginosa, etc. La banque est consultable en ligne et fournit des phages thérapeutiques sur demande[43]..
La société Bohemia Pharmaceuticals commercialise le Stafal[44],[45],[46], une solution bactériophagique contre le staphylocoque doré. Il est fabriqué par l'entreprise tchèque IMUNA s.r.o.[47].
En Russie, une société d'État, Microgen, est créée en 2003 par la fusion de 14 entreprises de l'industrie immunobiologique nationale, et compte en 2018 neuf succursales. L'entreprise dépend du ministère de la Santé de la fédération de Russie et représente le seul fabricant de solutions bactériophagiques en Russie où la consommation s'élève à plus de un milliard de boîtes de phagiques par an en 2017[48], en forte croissance.
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