Le Phanar (Φανάρι en grec, Fener en turc, parfois écrit Fanar) est un quartier d’Istanbul, précédemment Constantinople. Son nom vient du mot grec phanarion, signifiant phare, en référence au grand sémaphore qui avait dominé le quartier durant la période byzantine, et qui ne servait pas seulement d’amer aux navires, mais aussi de moyen de communication à grande distance (par fumées le jour et par feux la nuit, de différentes couleurs comme le décrit Skylitzès).
Après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, les chrétiens restés dans la ville se regroupèrent dans les quartiers nord, soit le quartier du Phanar et le quartier valaque[1], ainsi qu'à Galata. Aux XVIIeetXVIIIesiècles beaucoup de Phanariotes s’installèrent dans les principautés roumaines de Valachie et de Moldavie, états chrétiens tributaires de l’Empire ottoman (mais non provinces turques[2]) et finirent par les gouverner en tant que hospodars. Ils furent accompagnés de nombreux autresGrecs ottomans (précepteurs, majordomes, intendants, gouvernantes, nourrices, artisans, commerçants, armateurs, lettrés, médecins, juristes, administrateurs…) auxquels ils se mélangèrent (ainsi qu'aux bourgeois et à la noblesse roumaine), formant ainsi une classe dominante qui y fut progressivement qualifiée de « Phanariote » (pătura fanarioților) au point que les lettrés grecs de l’époque considérèrent les pays roumains (Μολδοβλαχία - «Moldo-Valachie» ou παραδουνάβιες χώρες - « pays près du Danube ») comme faisant partie du monde grec[3].
Les Phanariotes pouvaient être originaires des îles de l’Égée, d’Épire, parfois d’origine albanaise comme les Ghica, roumaine comme les Racoviță ou les Callimaki, voire italo-levantine comme Gaspar Gratiani; plusieurs familles aristocratiques étaient homonymes, et descendaient peut-être des familles impériales romaines d'orient, dites byzantines, de Constantinople ou de Trébizonde, mais la certitude de ces filiations manque, les archives présentant des hiatus. En voici une liste incomplète (le signe † indique que le nom s’est éteint):
Mais d'autres Phanariotes, avides d'argent et le pouvoir, se rendirent coupables aussi bien à Constantinople que dans les principautés roumaines, de corruption et d'intrigues qui finirent par leur donner mauvaise réputation: trop d'entre eux s'étaient étroitement intégrés au système clientéliste ottoman[9].
L’historiographie roumaine considère habituellement que les règnes des princes Phanariotes débutent en 1711 en Moldavie et en 1716 en Valachie, car ces dates marquent un changement politique: de 1711 et 1716, respectivement, jusqu'en 1821, les voïvodes ou hospodars ne furent plus élus par la noblesse roumaine, mais directement nommés par le Sultan ottoman, et choisis parmi les Phanariotes. Toutefois dès avant 1711 des princes hellénophones régnèrent déjà, tels les Ghica d’origine albanaise ou les Cantacuzène.
En 1821, leur attitude ambivalente face à la révolution roumaine et à l'insurrection grecque mit un terme au crédit des Phanariotes auprès du Sultan, qui leur retira charges et responsabilités: beaucoup s'exilèrent en Russie et en France, tels les princes Mourousi[10] devenus russes, mais aussi une branche des Cantacuzènes et quelques autres.
Le Phanar (autour de l’église Saint-Georges, siège du Patriarcat orthodoxe) et Pera (autour de la basilique Agia Triada) sont les quartiers où résident les tout derniers chrétiens hellénophones constantinopolitains (officiellement 2 600 personnes sur 15 millions d'habitants[11]). Si ses fidèles sont de moins en moins nombreux, en revanche la puissance économique du Patriarcat orthodoxe est grande, car il possède des milliers de propriétés immobilières dans Istanbul, qui, avec son immense fortune foncière de Grèce septentrionale et insulaire, assurent sa prospérité[12].
De nombreuses cartes historiques, anciennes ou modernes, représentent par erreur la Moldavie et la Valachie, pourtant connues en leur temps comme «principautés danubiennes», comme des provinces turques.
Neagu Djuvara, Les pays roumains entre Orient et Occident: les Principautés danubiennes au début du XIXesiècle, Publications Orientalistes de France, 1989 et Joëlle Dalègre, Grecs et Ottomans 1453-1923: de la chute de Constantinople à la fin de l’Empire Ottoman, L’Harmattan, Paris 2002, (ISBN2747521621).
«Au début du XVIIesiècle le savant allemand Martin Crusius rencontrait des Paléologue au Phanar et les estima authentiques. Ils portaient ce nom accolé à celui de Guliano, qui paraît avoir été leur véritable nom de famille, et au surnom de muselim, qui était la désignation d’une magistrature turque. Apparentés à plusieurs des grandes maisons phanariotes, leurs descendants finirent par s’établir en Valachie à la fin du XVIIIesiècle, sans qu’il y soit question de prétentions impériales de la part de ces Paléologue devenus boyardsvalaques. À la fin du XIXesiècle, de ces Paléologue roumains ne subsistait qu’une branche bâtarde, laquelle, sans doute pour réparer la tache de sa naissance illégitime, fit imprimer à Constantinople un arbre généalogique lui attribuant une origine byzantine dont personne n’avait entendu parler auparavant. Ce curieux document est préservé dans ce qui reste des papiers d’Eugène Rhizo-Rhangabé à l’Académie d’Athènes, et mérite d’être cité, car celui en qui s’éteignit cette famille gréco-roumaine ne fut autre que Maurice Paléologue (1859-1944), ambassadeur de France, l’un des grands artisans de l’alliance franco-russe. Ce diplomate fit d’ailleurs insérer dans la Grande Encyclopédie du XIXesiècle une notice le concernant, et où il se donne comme un rejeton de Byzance. Rien n’est moins sûr par conséquent que la légitimité des prétentions impériales des Paléologues vivant sous la domination turque immédiatement après la chute de Constantinople. Depuis, imposteurs, aventuriers de haut vol ou charlatans de bas étage ont abondamment fait usage du nom et du blason de la dernière maison impériale de Byzance», écrit Mihail Dimitri Sturdza dans son livre Grandes familles de Grèce, d'Albanie et de Constantinople, dictionnaire historique et généalogique, Paris, chez l'auteur, 1983, p.374-375. Compte tenu de l’absence de documents, des hiatus générationnels et de l’habitude de se revêtir de noms prestigieux parmi les Grecs ottomans, rien ne peut étayer indiscutablement la généalogie impériale des Paléologues et des Cantacuzènes du Phanar sous la domination turque, réapparus bien après la chute de Constantinople. On ne peut prouver qu’une chose avec certitude: les derniers descendants directs des Paléologue byzantins s’éteignirent en la branche des marquis de Montferrat, en Italie du Nord, comme le montre Sturdza.
Le mot drogman vient de l'arabe tourdjoumân (ترجمان, traducteur) qui se trouve aussi à l'origine du patronymeTordjman. L'étymologie de tourdjoumân pourrait remonter au mot d'origine indo-européennetargumannum («interprète») présent dans les tablettes cunéiformes akkadiennes de Kültepe/Kanesh (Kayseri) au début du IIe millénaire avant notre ère: Elena Asero, article Strade di uomini e di idee, in: M. Forlanini (dir.), Le strade dell'Anatolia del II Millenio a.c.: percorse da mercanti assiri eserciti ittiti e carovane di deportati ma anche vie di diffusione di culti e civiltà et ed. Aracne, Rome, (ISBN9788854885141) p.47.
La monarchie étant élective dans les principautés chrétiennes roumaines de Moldavie et de Valachie, le souverain (voïvode, hospodar ou domnitor selon les époques et les sources) était élu par (et souvent parmi) les boyards, puis agréé par les Ottomans: pour être nommé, régner et se maintenir, il s'appuyait sur les partis de boyards et fréquemment sur les puissances voisines, russe et surtout turque, car jusqu'en 1859 les deux principautés étaient vassales et tributaires de la «Sublime Porte». Le candidat au trône devait ensuite "amortir ses investissements" par sa part sur les taxes et impôts, verser en outre le tribut aux Ottomans, payer ses mercenaires et s'enrichir néanmoins. Pour cela, un règne d'un semestre au moins était nécessaire, mais la "concurrence" était rude, certains princes ne parvenaient pas à se maintenir assez longtemps sur le trône, et devaient ré-essayer. Cela explique le "jeu des chaises musicales" sur les trônes, la brièveté de beaucoup de règnes, les règnes interrompus et repris, et parfois les règnes à plusieurs (co-princes). Quant au gouvernement, il était assuré par les ministres et par le Sfat domnesc (conseil des boyards). Concernant le tribut aux Ottomans, la vassalité des principautés roumaines envers l'Empire ottoman ne signifie pas, comme le montrent par erreur beaucoup de cartes historiques, qu'elles soient devenues des provinces turques et des pays musulmans. Seuls quelques petits territoires moldaves et valaques sont devenus ottomans: en 1422 la Dobrogée au sud des bouches du Danube, en 1484 la Bessarabie alors dénommée Boudjak, au nord des bouches du Danube (ce nom ne désignait alors que les rives du Danube et de la mer Noire), en 1538 les rayas de Brăila alors dénommée Ibrahil et de Tighina alors dénommée Bender, et en 1713 la raya de Hotin. Le reste des principautés de Valachie et Moldavie (y compris la Moldavie entre Dniestr et Prut qui sera appelée Bessarabie en 1812, lors de l'annexion russe) ont conservé leurs propres lois, leur religion orthodoxe, leurs boyards, princes, ministres, armées et autonomie politique (au point de se dresser plus d'une fois contre le Sultan ottoman). Les erreurs cartographiques et historiques sont dues à l'ignorance ou à des simplifications réductrices. Voir Gilles Veinstein et Mihnea Berindei: L'Empire ottoman et les pays roumains, EHESS, Paris, 1987.
Nicolas Vatin et Gilles Veinstein (dir.), Insularités ottomanes, ed. Maisonneuve & Larose, Institut français d'études anatoliennes, Paris 2004 p.287-289, (ISBN2706817933).
Samim Akgönül, Le Patriarcat grec orthodoxe: de l'isolement à l'internationalisation de 1923 à nos jours, Institut français d'études anatoliennes / Maisonneuve & Larose, Paris, 2004 (ISBN2706818077); (en) Bestami Sadi Bilgic, «The Greek Orthodox Patriarchate and the Turkish-Greek Relations, 1923-1940», Turkish Week, (lire en ligne) et Alain Juster, «Le patriarcat œcuménique, la Grèce et la Turquie», CEMOTI, vol.Le différend gréco-turc, nos2-3, , p.10-19 (lire en ligne).
Jean-Michel Cantacuzène, Mille ans dans les Balkans, Éditions Christian, Paris, 1992. (ISBN2-86496-054-0)
Joëlle Dalegre Grecs et Ottomans 1453-1923. De la chute de Constantinople à la fin de l’Empire Ottoman L’Harmattan Paris (2002) (ISBN2747521621)
Mihail Dimitri Sturdza, Dictionnaire historique et généalogique des grandes familles de Grèce, d'Albanie et de Constantinople, M.-D. Sturdza, Paris, chez l'auteur, 1983 (ASINB0000EA1ET)
Eugène Rizo Rangabé, Livre d'or de la noblesse phanariote en Grèce, en Roumanie, en Russie et en Turquie, impr. S. C. Vlastos, Athènes, 1892 (Lire en ligne)
Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes: