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La méthode ouverte de coordination (MOC) est un mode de coordination non contraignant des politiques publiques des différents États membres de l'Union européenne. Il s'applique dans des domaines qui relèvent essentiellement de la compétence des États (comme la protection sociale), et où l'Union ne peut édicter de règles contraignantes (règlement ou directive). Cette méthode utilise des outils souvent rattachés au droit mou (soft law) et issus du monde du management et de l'entreprise, tels que les guides de bonne conduite, le partage des bonnes pratiques, l'évaluation par les pairs et le benchmarking (en français étalonnage). La MOC permet le rapprochement des législations nationales dans le domaine de politique publique visé. Mais comme son principe est la coopération volontaire des États, son efficacité n'est réelle que lorsqu'il y a consensus sur les objectifs à atteindre. La méthode ouverte de coordination est souvent promue comme une alternative à la méthode communautaire[1], mais elle pose aussi une série de problèmes en ce qui concerne son efficacité présumée, ses effets sur les législations et sa légitimité démocratique[2],[3].
La méthode consistant pour les États membres à se fixer des objectifs à atteindre en dehors du fonctionnement des institutions communautaires a pris naissance dès les années 1990, avec la définition conjointe par tous les États membres de « grandes orientations de politiques économique » ou GOPE. Les GOPE ont regroupé au fil des années 1990 un ensemble de processus distincts :
Lors du Conseil européen de Lisbonne, les chefs des États membres adoptent de nouveaux objectifs : « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Ces objectifs vont servir de point de départ à la stratégie de Lisbonne. Celle-ci contient deux volets principaux :
Pour atteindre ces objectifs dans des domaines qui dépendent en grande partie des États, la méthode communautaire est délaissée au profit d'une nouvelle méthode : la méthode ouverte de coordination, formulée pour la première fois à l'issue du Conseil européen de Lisbonne. Les États se donnent un certain nombre d’objectifs, mais sans recours à la contrainte légale. Le dispositif est censé fonctionner par l'incitation et par l’émulation, sur la base de classements entre États rendus publics.
Si la stratégie de Lisbonne a pu servir de « creuset » à la méthode ouverte de coordination, elle ne se confond pas avec elle : les objectifs de la stratégie de Lisbonne pourraient en effet exiger de changer de méthode; de plus, la méthode ouverte de coordination s'applique aussi à des domaines qui ne sont pas contenus dans la stratégie de Lisbonne[7].
La méthode ouverte de coordination implique essentiellement les exécutifs nationaux (chefs d'État et gouvernements des États membres) et la Commission. Elle laisse de côté les autres institutions européennes: Cour de justice des communautés européennes et Parlement européen.
La méthode ouverte de coordination telle qu'elle a été formulée lors du Conseil européen de Lisbonne fonctionne en quatre temps:
Le Conseil européen a joué un rôle décisif dans la formulation de la méthode ouverte de coordination au moment du Conseil européen de Lisbonne en 2000. Mais il s'est ensuite effacé derrière la Commission européenne. Certains pensent que le Conseil européen est devenu une « chambre d'enregistrement » des lignes directrices et des recommandations des comités[9]. Au contraire, la Commission européenne s'est imposé comme un acteur central de la méthode de coordination ouverte: présente à chaque stade (encadrement de la rédaction des plans nationaux, détermination des indicateurs de suivi, organisation d'examen par les pairs (peer review)), elle a profité de sa stabilité et de son unité (à l'inverse du Conseil européen réunissant les chefs d'État). Elle a ainsi contribué à institutionnaliser la méthode ouverte de coordination[10].
Par rapport à la méthode communautaire et même par rapport aux processus législatifs traditionnels, la méthode ouverte de coordination comporte plusieurs particularités[11],[12] :
Les critères de Maastricht et depuis 1997 le "Pacte de stabilité et de croissance sont parfois considérés comme des exemples de méthode ouverte de coordination. Si cette méthode relève bien de la coordination et est bien mise en œuvre en dehors de la méthode communautaire, elle s'en distingue cependant par le caractère contraignant des objectifs, inscrits dans les traités depuis le traité de Maastricht et rendu obligatoire par deux règlements du Conseil de l'Union européenne (ou Conseil des ministres) du .
Dans le domaine des politiques de l'emploi, la méthode ouverte de coordination s'est largement appuyée sur les pratiques déjà existantes issues du processus de Luxembourg. Dans le cadre de la "stratégie de Lisbonne" qui intègre le processus de Luxembourg, quatre objectifs ont ainsi été formulés[15] :
La méthode ouverte de coordination dans le domaine de l'emploi ne prévoit aucune mesure contraignante. Certains pays s'y sont conformés, d'autres non. Les situations sont de plus très différentes en matière de chômage selon les États membres. Cette hétérogénéité limite les possibilités de coordination[16].
Avant le milieu des années 1990, les politiques sociales au niveau européen ont surtout contribué à rendre possible la circulation des travailleurs entre les différents États membres[17]. La politique sociale ne devient une préoccupation qu'avec la Communication de la Commission de 1999[18]. En 2001, le sommet de Göteborg décide d'appliquer la méthode ouverte de coordination au domaine de la politique sociale[19]. À la différence des politiques de l'emploi, la méthode ouverte de coordination dans le domaine des politiques sociales n'est pas définie dans les traités européens. Elle comporte deux volets :
Dans le cas français, on peut affirmer que la remise en question du système de retraites par répartition en 2003 est partiellement le produit de la méthode ouverte de coordination, et surtout que celle-ci a pu être utilisée pour légitimer la réforme des retraites comme un processus européen s'imposant de l'extérieur[22].
En France, dans un dossier thématique daté d'avril 2010[23], le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale fait état d'une MOC renforcée à la protection sociale et à la lutte contre la pauvreté, à compter de 2008, à la suite d'une communication de la Commission européenne intitulée « Travailler ensemble, travailler mieux ».
Dès 1993, la Commission européenne avait publié un Livre blanc (repris en 1995 dans un Livre vert), prônant la collaboration inter-étatique, inter-entreprises, mais aussi entre universités et entreprises, ainsi que l’augmentation des investissements de la recherche privée, le rôle de l’État consistant à créer un environnement favorable (formation, crédit d’impôt)[24]. Ces objectifs vont aboutir dans le cadre de la stratégie de Lisbonne qui fait figurer parmi ses objectifs la mise en place d'un « espace européen de la recherche ». C'est le modèle du marché qui est privilégié pour coordonner les politiques nationales. Pour permettre la mise en concurrence des différents systèmes universitaires, les États ont créé le processus de Bologne qui place tous les systèmes universitaires dans un cadre unique. Parallèlement au processus de Bologne qui relève des États, la Commission européenne lance dès 2000 une méthode de coordination ouverte.
Cependant, celle-ci ne s'impose pas d'emblée. Ainsi, le Conseil Recherche (formation du Conseil de l'Union européenne) de , censé mettre les décisions du sommet de Lisbonne en application, n’évoque pas la méthode ouverte de coordination et se limite à demander à la Commission de faire des propositions pour un système de statistiques comparatives dans le domaine de la recherche et développement et pour la définition d’objectifs souhaitables. C'est seulement à partir de 2003 que les États acceptent explicitement de s'impliquer dans la méthode ouverte de coordination: ils acceptent ainsi de voir mesurer et classer leurs performances par rapport aux objectifs que la Commission européenne a contribué à définir avec eux[25].
Les objectifs auxquels les États ont accepté de se soumettre sont essentiellement :
Ces objectifs sont parfois considérés comme critiquables, ne tenant pas compte de la situation européenne ni des situations nationales (taille des pays et structure de recherche déjà existantes). Ils sont aussi considérés comme non réalistes, leur seul effet consistant à mettre les États en concurrence les uns avec les autres[26].
La méthode ouverte de coordination a parfois été critiquée comme assez peu efficace par rapport aux buts qu'elle s'est fixés. C'est dans le domaine budgétaire, celui des critères de Maastricht, que les convergences ont été les plus fortes. Mais c'est justement le caractère contraignant, non prévus dans la méthode ouverte de coordination, qui semble avoir permis ces résultats[27].Dans les autres domaines, la méthode semble avoir obtenu des résultats inégaux :
Étant donné que la méthode ouverte de coordination est plus ou moins institutionnalisée et contraignante selon les domaines, certains domaines sont mieux structurés autour d'objectifs précis et sont servis par une communauté d'experts mieux organisée. Ces domaines ont du même coup tendance à imposer leur logique aux domaines voisins. L'avantage de départ dont dispose le Pacte de stabilité et de croissance sur les autres méthodes ouvertes de coordination fait ainsi que les logiques de restriction budgétaire s'appliquent à tous les autres domaines[30].
Beaucoup d'auteurs insistent sur le fait que la méthode ouverte de coordination ne peut pas être à terme une méthode alternative à la méthode communautaire, car beaucoup de domaines exigent non pas la coordination mais l'uniformisation[31].
Le vocabulaire et les outils de la méthode ouverte de coordination proviennent du domaine de la gouvernance d'entreprise: les notions de « gestion par objectif », de « contrôle des pairs », d'« auto-évaluation » sont issus des milieux managériaux de l'entreprise. Ces outils et concepts sont passés à l'administration d'État par sous le nom de New public management, notamment par l'action d'institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale[32]. Selon Renaud Dehousse, « la méthode ouverte de coordination s'inscrit dans un cadre de réforme des politiques communautaires marqué par un déclin relatif de l'approche législative qui a caractérisé la programme de réalisation du marché intérieur. Cela a pour conséquence de généraliser la référence au marché et à "l'efficience", y compris dans des domaines régis par un principe redistributif (comme la lutte contre le chômage ou les systèmes de retraites)[32].
Des auteurs soulignent certains effets pervers liés à la pratique de la méthode ouverte de coordination : la « gestion par objectifs » fait que les États sont mis et se mettent en concurrence les uns avec les autres. La mise en concurrence devient du coup la mesure de toute chose. Les objectifs élaborés par les groupes d'experts ne sont plus discutés, mais seulement le classement et les écarts entre États. La méthode ouverte de coordination s’accompagne en outre d’une obsession du contrôle (développement exponentiel des audits). Personne n’y oblige les États, mais ceux-ci s’y livrent pour honorer leurs engagements vis-à-vis des autres États[33]. Les enjeux politiques se déplacent donc des valeurs absolues (quel objectif et pourquoi ?) aux valeurs relatives (quelle position sur l'échelle des objectifs à atteindre ?)[34]. On passe ainsi d’une intégration par le droit à une européanisation par le chiffre : les outils n'en sont plus légaux, mais managériaux.
La méthode ouverte de coordination se développe indépendamment des contextes politiques nationaux. Ainsi les gouvernements prennent des engagements sur des objectifs que leurs successeurs, même opposés à ces objectifs, seront tenus de respecter. La méthode ouverte de coordination a donc pour effet de déconnecter l'élaboration des politiques publiques des cycles électoraux propres à chaque pays, même si ces politiques continuent à relever en principe du niveau national : « en se liant les mains, à long terme, les gouvernements nationaux ont en fait soustrait un certain nombre de choix aux joutes électorales »[35]. Pour certains gouvernements poursuivant leurs propres fins, la méthode ouverte de coordination est aussi un moyen d'imposer certains changement de l'extérieur pour éviter tout débat national[35]
Le fonctionnement de la méthode ouverte de coordination en réseaux impliquant politiques et experts est par nature rétif à tout contrôle externe, ce qui pose un problème de légitimation. Selon Renaud Dehousse, « la coopération entre experts au sein de réseaux plus ou moins obscurs n'est pas nécessairement la forme de légitimation la plus achevée, à moins de considérer que c'est la qualité d'un résultat qui assure la légitimité d'une politique »[36]. Dans le domaine de l'emploi, la méthode ouverte de coordination est parfois considérée comme « à la fois technocratique et opaque » : « après tout, les lignes directrices sont préparées par des fonctionnaires de la Commission dépourvus de toute responsabilité politique et adoptées dans le secret des délibérations du Conseil de l'Union européenne par des représentants nationaux (...). Le processus est encore largement sous le contrôle des gouvernements »[37].
La prétention participative de la méthode ouverte de coordination mise en avant dès l'origine n'a produit que peu d'effets : « la mise en œuvre de la méthode ouverte de coordination repose sur la confiance, parfois excessive, des groupes sociaux à s'approprier des processus »[38]. Si les procédures de « participation de la société civile » semblent fixées au niveau européen, « au niveau national, le fonctionnement évolue en vase clos »[38].
Ce déficit de démocratie se manifeste aussi par le rôle marginal des organes élus dans la méthode ouverte de coordination. Les parlements nationaux sont plus impliqués dans les questions relevant du droit communautaire que dans celle relevant de la méthode ouverte de coordination, notamment parce que celle-ci manque de visibilité. Au niveau national, la méthode ouverte de coordination relève largement des administrations centrales[39]. Au niveau européen, le Parlement européen est maintenu à l'écart, ce qui est parfois vu comme un élément « hypothéquant la légitimité démocratique de la méthode ouverte de coordination »[40]. Le Parlement européen est certes consulté mais uniquement de manière informelle[41]. Un rôle accru du Parlement européen dans la méthode ouverte de coordination devrait aboutir à changer la nature même de la méthode de coordination ouverte[42].
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