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La famille Lallemant est une famille de riches bourgeois de Bourges qui appartient à l’élite commerciale, politique et culturelle de son temps, la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle. Ils font partie d'un milieu de marchands et financiers. En relation avec le pouvoir royal, ils exercent des charges municipales à Bourges et de receveurs de finances royales. Deux membres de la famille, les frères Jean Lallemant l'Aîné et Jean Lallemant le Jeune, sont surtout connus pour avoir fait édifier une demeure, l'hôtel Lallemant, qui est un exemple précoce de la Première Renaissance française. Acquis par la ville de Bourges en 1826, l'hôtel Lallemant abrite depuis 1951 le musée des arts décoratifs de Bourges.
L'arbre généalogique de la famille Lallemant est, à partir de Guillaume l'Aïeul, le suivant[1]:17 :
Guillaume l'Aïeul (†1474) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Colette (†après 1497) | Guillemette | Jean l'Ancien (1481-1494) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Jeanne (après 1524) | Guillaume (1462-1516) | Étienne (1463-1516) | Jean l'Aîné (~1465/70-1533) | Jean le Jeune (~1481-1548) | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Étienne II (†avant 1497) | Guillaume III | Suzanne | François (†1561) | Françoise | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Anne (1559-†?) | Anne | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
La famille Lallemant est probablement originaire d'Allemagne et serait arrivée à Bourges déjà au XIIIe siècle[2]. Nicolas Catherinot les dit originaires de Nuremberg[3]. Jean-Yves Ribault[4], en absence de sources vérifiable, est plus nuancé, mais signale l'existence d'un Oury (Ulrich) Lalemant à la fin du XIIe siècle[5]. Le premier membre de la famille documenté à Bourges est Guillaume Lallemant.
Les deux Jean ont, à eux deux, dix enfants. Les enfants de Jean le jeune sont trois fils et deux filles :
Une épitaphe, dans l'église Saint-Bonnet de Bourges, donne des indications sur la généalogie des frères Jean Lallemant qui confirment les informations :
Jean Lallemant et Marie Petit
Eurent deux fils, que Dieu tant assortit
Qu'en commun ont vécu frère avec frère
Et du même nom ont ressemblé au père
Et ces deux Jeans deux Jeannes épousèrent
Qui dix enfants sur terre proférèrent :
Jeanne Gaillard épousa Jean l'aisné
Et l'autre Jeanne eut l'autre Jean puisné
Laquelle avait de Champanges surnom
Tous six ont en titre de bon renom,
Et leur honneur en cetuy monde égal
Car chacun d'eux fut receveur général.
Le père au faict des Normans travailla
L'Office après au fils aisné bailla
Et le puisné acquit charge semblable
En Languedoc. Pays recommandable
(...)
— Épitaphe, extrait repris de Bulteau 1984, p. 64.
L'ordre des chevaliers de la Table Ronde de Bourges est une association de notables de Bourges créée en et active jusqu'au début (voire au milieu) du XVIe siècle. Cette confrérie, dont les membres avaient leurs statuts et leurs armes, était dirigée par un chef élu par ses pairs, appelé « chef » ou « roi ». En , Jean de Cucharmoys, un jeune marchand de 21 ans né à Lyon dans une riche famille de marchands[13], est élu chef par six jeunes notables, membres fondateurs de l'ordre, parmi lesquels Jean Lallemant l'aîné[14]. Jean Lallemant le jeune est élu en . Jean Lallemant l'aîné, élu chef pendant dix mois en 1487, est réélu en 1490 pour un an, et est encore chef en 1533, année de sa mort[15]. Les autres membres étaient marchands et officiers du roi. D'abord au nombre de quatorze, ils sont au total jusqu'à vingt-trois. Jean Lallemant le jeune est élu chevalier le . Le rôle de cette confrérie était économique et honorifique. Les statuts ont été rédigés en 1487 et réécrits en . L'ordre compte alors seize membres, tous membres de la haute bourgeoisie de Bourges[15]. Ces statuts, les armoiries, ainsi que la liste des membres avec leurs dates d'admission - et, pour deux d'entre eux, leur date de radiation - et leurs dates de décès, ont été consignés dans un document sur parchemin d'une cinquantaine de feuillets intitulé Statuts et armoiries des chevaliers de la Table Ronde de Bourges, conservé à la British Library[16] et décrit dans (Jarry 1972) ou (Decu Teodorescu 2013). Le document a probablement été composé à partir de 1486, date de création de l'ordre, et s'achève par la mention de la mort de Jean Lallemant l'aîné en 1533. Chaque membre a ses propres armoiries composées d'un blason et entourée d'une chaîne constituée de « cinq dizaine de dix grains noirs enfilez de lacs de soie verte »[17]; cinq gros grains d'or séparent les dizaines. La chaîne se termine par un pendentif représentant la Vierge et l'Enfant. Il est possible que la naissance de la confrérie, en , ait un rapport avec la lutte des marchands et bourgeois de Bourges pour le maintien des foires à Bourges. Ce lien est mentionné dans un article d'Alain Collas[18]. Mais l'incendie de 1487 donne un premier coup aux foires, et Louis XII transfère les foires à Lyon en 1498. La confrérie périclite à partir de 1509, date de la dernière admission enregistrée. La taille de l’ordre diminue avec le décès de ses membres; en 1433, ils étaient huit.
Jean l'aîné et Jean le jeune ont commandé un certain nombre de livres manuscrits, ouvrages religieux pour la plupart mais pas seulement. D'autres portent leurs armes ou devises, parmi lesquelles « Delear prius », que l'on peut traduire par « Que je périsse plutôt ! », et également la devise « Quant sera-ce - Ce sera quant ». Le livre d'heures aux armes des Lallemant, aujourd'hui conservé à La Haye comporte une miniature réputée avec un lion rouge, coiffé d'un livre portant l'inscription « Delear prius », un casque et les armoiries de Jean Lallemant le jeune, semblables à celles de son écusson de chevalier de la Table Ronde. Dans le cadre, on peut lire une devise sur une banderole : « Dirupisti Domine vincula mea; tibi sacrifibo hostiam laudis et nominem domini invocabo »[19]. Le fond est tapissé de nœuds coupés.
Paul Chenu[20] répartit la propriété des livres entre les membres de la famille :
Les livres ont été dispersés ensuite dans des bibliothèques et même, comme un des livres d'heures, démembrés. La liste que voici contient des titres mentionnés, sous une forme ou une autre, dans un texte d'Émile-A. van Moé[21]. Seymour de Ricci, Census of medieval and Renaissance manuscripts in the United States and Canada[22], mentionne d'autres manuscrits. Plusieurs de ces manuscrits sont illustrés par un enlumineur anonyme, de nom de convention maître du Boèce Lallemant.
Cinq livres d'heures aux armes des Lallemant existent en Amérique, décrits par Ricci :
M. de Ricci signale par ailleurs le no 2029 de la vente d'Aguesseau en 1785 : « Magistri Gualteri, Moralium dogma philosophorum » (écrit en 1495) , et le no 84 du catalogue Chardin, en 1811 : « Horae, Delear prius. »
La réalisation la plus spectaculaire des frères Jean Lallemant est l'hôtel qui porte leur nom, et qui un témoignage important de la première renaissance française. Le palais est orné d'un ensemble impressionnant de sculptures décoratives, sous forme de pilastres, corniches, chapiteaux, colonnes, frontons, cheminées, médaillons, sous-faces de marches, moulures. Les décorations représentent des objets, comme les cornes d'abondance, coquilles, rinceaux, oves, flèches, tridents, coupes en feu, ou des personnages. Certains sont typiques, comme un phénix, le fou, un aigle, des oiseaux, ou plus clairement identifiés, comme saint Christophe, Pâris fils de Priam. Sur le palier voûté d'ogives, un moine au phylactère muet, un autre en prière, un troisième avec un livre ouvert, un autre veillant, un adepte tapis.
Les frères Lallemant étaient-ils alchimistes, ou au moins instruits en alchimie ? L'interprétation des sculptures de personnages en ce sens a été largement développé, depuis Fulcanelli, Jacques van Lennep, ou Michel Bulteau : le fou au casque de Mercure, l'alchimiste au matras, le scrutateur de nature, le souffleur, l'amateur de secrets, sont autant de noms pour des personnages sculptés en corniche dans le bâtiment.
Dans la chapelle, de dimensions modestes (2,60 × 3,80 × 5,40 m) mais importantes pour une demeure privée, c'est le plafond qui attire l'attention. Les trente caissons du plafond sculptés dans la pierre s'ordonnent en trois rangées de dix dans une pièce toute en longueur, terminée par un vitrail au blason de la famille Lallemant. Quatorze caissons à angelots et un enfant sans ailes alternent en quinconce avec quinze caissons où figurent des objets ou des animaux, signe de l'arrivée en France du style italianisant. « Parmi tous les décors, on remarque une colombe radieuse; une pomme d'arrosoir sur un brasier; un oiseau déchiquetant une tête de mort; un autre becquetant; une corne d'abondance; une ruche; un globe céleste avec la terre au centre; un enfant tenant une guirlande de perles, la lettre E dans des fleurs; une coquille enlacée d'un ruban à glands sur fond semé de E; un globe enflammé, au-dessus R R R; un livre entouré de flammes »[33].
Parmi les thèmes représenté, il y a notamment, dans la troisième rangée, à droite une ruche à l'ancienne, d'où s'échappent des abeilles et à gauche un pot de cuisine incliné laisse s'échapper de son flanc cassé des chausse-trappes ou tétrapodes. On note aussi, dans la quatrième rangée, un angelot qui urine d'un grand jet dans un sabot. Dans la cinquième rangée, l'angelot est remplacé par un garçon, sans ailes, montrant de l'index un livre ouvert de sa main droite. Les deux caissons voisins contiennent un avant-bras, dans des contextes différents.
Quant aux nombreuses apparitions de suites de R et E, notamment dans une niche contenant des RERE et RER alternant, Buhot de Kersers note, un peu désabusé : « On pourrait y voir l’impératif du verbe déponent reor, songer, si ce n'était folie de chercher une explication aux énigmes de la renaissance, que nous ne réussissons pas toujours à comprendre, même lorsque nous en avons la clef »[33].
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