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En mathématiques, en vue d'un certain nombre d'applications (théorie des distributions[1], des hyperfonctions, et leur utilisation notamment pour l'étude des équations aux dérivées partielles[2],[3],[4]), il est nécessaire de développer et d'étudier la notion de dual d'un espace vectoriel topologique, plus générale que celle de dual d'un espace vectoriel normé. Néanmoins, la théorie de la dualité n'est fructueuse et utile que dans le cadre des espaces localement convexes, dont la théorie a été fondée par Andreï Kolmogorov[5] et John von Neumann en 1935[6]. La théorie de la dualité dans ces espaces s'est développée dans les années suivantes, avec les contributions importantes de Gottfried Köthe (sur les espaces de suites)[7], de Jean Dieudonné[8] et de George Mackey[9],[10] ; puis l'article cosigné par Jean Dieudonné et Laurent Schwartz[11], sa généralisation par Nicolas Bourbaki[12], les travaux d'Alexandre Grothendieck[13],[14],[15],[16], enfin la parution entre 1953 et 1955 de la première édition du Livre des Éléments de mathématique de N. Bourbaki consacré aux espaces vectoriels topologiques[17], en ont marqué la maturité[18],[19]. Une première approche consiste à considérer deux espaces vectoriels E et F (sans topologie a priori) et à les mettre en dualité au moyen d'une forme bilinéaire, si possible non dégénérée. Une autre approche consiste à partir d'un espace localement convexe E, puis considérer son dual topologique ; dans ce cas, E et sont naturellement mis en dualité au moyen de la « forme bilinéaire canonique ». Tous les résultats obtenus dans la première approche sont valides dans la seconde ; suivant la nature de l'espace localement convexe E, on peut obtenir certaines propriétés supplémentaires[20].
Soit E et F deux espaces localement convexes sur le corps k des réels ou des complexes. Ils sont mis en dualité si l'on s'est donné une forme bilinéaire .
On appelle topologie faible sur E (resp. sur F) définie par la dualité entre E et F la topologie la moins fine rendant continues les formes linéaires (resp. ). Cette topologie est notée (resp. ). La topologie est définie par les semi-normes et elle est donc localement convexe.
La topologie est séparée si, et seulement si pour tout dans E, il existe tel que . Dans ce cas, on peut identifier E à un sous-espace vectoriel du dual algébrique de F en identifiant x avec la forme linéaire (l'application linéaire étant injective de E dans ).
Lorsque la forme bilinéaire B est non dégénérée (ce qu'on suppose dans ce qui suit), on dit que E et F sont en dualité séparante ; E s'identifie alors à un sous-espace de (en identifiant, comme ci-dessus, un élément x de E avec la forme linéaire ), F à un sous-espace de (en identifiant de la même manière un élément y de F avec une forme linéaire ), B à la restriction à de la forme bilinéaire canonique , et on écrit .
Soit M une partie de E. On appelle polaire de M dans F l'ensemble [21] des tels que pour tout [22].
Cet ensemble contient 0 et est convexe, fermé dans F pour la topologie σ(F, E). On a et .
En conséquence du théorème de Hahn-Banach, le bipolaire est l'enveloppe convexe fermée de pour la topologie σ(E, F) (« théorème des bipolaires »). En particulier si M est convexe et contient 0, son bipolaire est simplement son adhérence dans E pour la topologie σ(E, F).
Si M est même un sous-espace vectoriel de E, alors le fermé est égal à , qui est un sous-espace vectoriel de F.
Soit M un sous-espace vectoriel de E et considérons l'espace quotient . Soit où est l'image canonique de y dans . Il est immédiat que la forme bilinéaire est bien définie et non dégénérée, et met donc en dualité séparante M et .
Pour que la topologie quotient, induite sur par , soit identique à la topologie , il faut et il suffit que M soit fermé dans E pour la topologie .
Soit , deux couples d'espaces vectoriels en dualité séparante. Pour faciliter la lecture de ce qui suit, écrivons et (en notant bien qu'ici, et ne désignent pas les duals d'espaces vectoriels topologiques donnés a priori E et F). Les espaces E, F, et sont munis des topologies faibles.
Théorème et définition —
(1) Soit une application linéaire. Les conditions suivantes sont équivalentes :
pour tous et .
Dans ces conditions, v est unique ; elle est linéaire et continue.
(2) L'application v ci-dessus est appelée la transposée de u et est notée . On a .
Dans la suite, l'application linéaire u est supposée continue ; on a les résultats suivants :
Proposition —
(1) On a
(2) Pour que u soit un morphisme strict, il faut et il suffit que soit un sous-espace fermé de .
Voyons une conséquence de ce qui précède en utilisant le langage des suites exactes : soit , , trois couples d'espaces vectoriels en dualité séparante, et considérons une suite d'applications linéaires continues (au sens des topologies faibles)
Soit la « suite duale »
Pour que la suite (S) soit exacte, il faut et il suffit que
Par conséquent, si la suite (S) (resp. (S')) est exacte et si (resp. ) est un morphisme strict, alors la suite (S') (resp. (S)) est exacte. (Ce résultat est valide avec des topologies fortes si E, F et G sont des espaces de Fréchet-Schwartz.)
Soit maintenant E un espace localement convexe sur le corps k des réels ou des complexes ; notons sa topologie, dite initiale. Notons son dual topologique, à savoir l'espace des formes linéaires continues pour la topologie , et son dual algébrique ().
La forme bilinéaire canonique est l'application (où , ). Elle met E et en dualité séparante.
La condition est évidemment nécessaire. Montrons qu'elle est suffisante : si H est fermé, l'espace quotient est un espace localement convexe séparé de dimension 1 sur k. On a où est la surjection canonique de E sur , et est donc continue, et où g est une forme linéaire sur , et est donc continue puisque est de dimension finie.
La topologie est appelée la topologie affaiblie sur E. Elle est moins fine que .
Les bornologies les plus usuelles dont les suivantes :
Les -topologies ci-dessus vont de la moins fine à la plus fine (tandis que les bornologies vont de la plus fine à la moins fine).
Dans ce qui suit, (resp. ) désigne l'espace vectoriel E muni de la topologie initiale (resp. la topologie faible ). Quand on parle ci-dessous de polaire, c'est relativement à la dualité entre E et .
Par conséquent, la topologie est identique à la topologie de la convergence uniforme sur les parties équicontinues de .
Les parties équicontinues de sont bornées dans , et les parties bornées de sont bornées dans . Le résultat qui suit est appelé le théorème de Banach-Alaoglu-Bourbaki ; il généralise le théorème de Banach-Alaoglu, valide dans le cas des espaces de Banach[27] :
Théorème — Toute partie équicontinue de est relativement compacte pour la topologie faible .
On a la caractérisation suivante des espaces tonnelés :
Théorème — Soit E un espace localement convexe. Les conditions suivantes sont équivalentes :
(a) E est tonnelé ;
(b) les parties équicontinues du dual de E coïncident avec les parties bornées de .
Procédons à la classification des parties bornées du dual de E :
Dans le cas général, (a) (b) (c) (d), (b) (c') (d).
Les cas particuliers sont : (a) = (b) si, et seulement si E est un espace de Mackey (voir infra), (a) = (c') si, et seulement si E est un espace infratonnelé (une condition suffisante pour qu'on ait cette égalité est donc que E soit bornologique), (b) = (d) si, et seulement si est quasi complet pour la topologie , (c') = (d) si E est semi-réflexif (voir infra) ou semi-complet (en particulier, si E est quasi complet), (a) = (d) si, et seulement si E est un espace tonnelé (théorème de Banach-Steinhaus).
En outre, si E est un espace localement convexe tonnelé et semi-complet, les ensembles ci-dessus coïncident avec :
Soit E un espace localement convexe séparé et une bornologie.
On a vu plus haut que est un espace localement convexe séparé.
Si E est un espace tonnelé, est quasi complet.
Si E est un espace bornologique, le dual fort est complet (et c'est un espace (DF) si E est métrisable).
Si E est un espace normé (donc bornologique), est normé complet, donc un espace de Banach.
Soit E et F deux espaces en dualité séparante, et considérons de nouveau, pour tout , la forme linéaire sur E. Soit une topologie localement convexe sur E. Elle est dite compatible avec la dualité entre E et F si est une bijection de F sur le dual de l'espace localement convexe obtenu en munissant E de .
La topologie est évidemment compatible avec la dualité. Le résultat suivant est dû à Mackey :
Théorème et définition — (1) On appelle topologie de Mackey la -topologie où est l'ensemble des parties convexes de F, compactes pour . Cette topologie est notée .
(2) La topologie est compatible avec la dualité entre E et F si, et seulement si elle est plus fine que et moins fine que .
Les parties convexes fermées dans E et les parties bornées dans E sont les mêmes pour toutes les topologies localement convexes compatibles avec la dualité entre E et F. On peut donc parler d'une partie fermée convexe ou d'une partie bornée de E, sans précision de la topologie.
Soit maintenant E un espace localement convexe séparé. Sa topologie est compatible avec la dualité entre E et , par conséquent est moins fine que . Si elle coïncide avec , E est appelé un espace de Mackey (en) (les espaces infratonnelés et les espaces bornologiques - donc les espaces localement convexes métrisables - sont des espaces de Mackey). Soit de dual de E ; la topologie est moins fine que ; si E est quasi complet, , et ces trois topologies sont donc moins fines que .
Soit E et F des espaces localement convexes et une application continue. Alors elle est faiblement continue (i.e. elle est continue pour les topologies et ). Inversement, si u est faiblement continue, elle est continue pour les topologies de Mackey et ; en particulier, elle est continue pour les topologies et si E est un espace de Mackey.
Soit et deux espaces localement convexes séparés, ayant pour duals et , et une application linéaire continue (i.e. continue pour les topologies , ). Puisqu'elle est faiblement continue, elle admet une transposée faiblement continue. On montre que est continue pour toutes les -topologies où est intermédiaire entre et , ainsi que pour les topologies de Mackey ().
Soit ; l'application est continue pour , donc a fortiori pour . On a pour tout si, et seulement si
puisque E est séparé. Par suite, l'application linéaire est une injection de E dans , dite canonique.
En particulier, si E est un espace localement convexe métrisable, il est bornologique ; son bidual fort est alors un espace de Fréchet, et E est un sous-espace vectoriel topologique de , fermé dans si E est lui-même un espace de Fréchet.
Un espace localement convexe séparé E est dit semi-réflexif si l'injection canonique est bijective, autrement dit si, en tant qu'espaces vectoriels, E et coïncident.
L'espace E est semi-réflexif si, et seulement si la topologie est compatible avec la dualité entre E et , c'est-à-dire si .
Si E est semi-réflexif, les deux topologies faibles qu'on peut définir sur (à savoir , parfois appelée « topologie *-faible de », et , « topologie faible de »), sont donc identiques.
Le théorème qui suit, encore appelé théorème de Banach-Alaoglu-Bourbaki, généralise le critère de Banach-Alaoglu pour la réflexivité des espaces de Banach (compacité faible de la boule unité) :
Théorème — Un espace localement convexe séparé E est semi-réflexif si, et seulement si toute partie bornée de E est relativement compacte dans .
(La conclusion résulte de l'égalité , en tenant compte du fait que l'enveloppe convexe fermée d'une partie bornée de E est encore bornée.)
Un espace E est semi-réflexif si, et seulement si est tonnelé, et cela entraîne évidemment que est tonnelé ; E est alors quasi complet pour les topologies et ; plus précisément E est semi-réflexif si, et seulement s'il est quasi complet pour sa topologie affaiblie .
D'après ce qu'on a dit plus haut, si E est semi-réflexif, la bijection est telle que sa bijection réciproque est continue.
Un espace localement convexe E est dit réflexif s'il est semi-réflexif et si les topologies et coïncident.
Le dual fort d'un espace réflexif E est réflexif.
Théorème — Pour qu'un espace localement convexe séparé E soit réflexif, il faut et il suffit qu'il soit semi-réflexif et tonnelé.
(En effet, si E est réflexif, l'est aussi, donc le dual fort de , à savoir E, est tonnelé. Réciproquement, si E est semi-réflexif, est bijective, et si de plus E est tonnelé, la topologie coïncide avec la topologie forte .)
On peut montrer que E est réflexif si, et seulement si E est semi-réflexif et infratonnelé (par conséquent, un espace semi-réflexif est tonnelé si, et seulement s'il est infratonnelé) ; mais un espace semi-réflexif qui est un espace de Mackey n'est pas nécessairement réflexif. Puisqu'un espace réflexif est semi-réflexif, il est quasi complet, mais il existe des espaces réflexifs qui ne sont pas complets. Le quotient d'un espace semi-réflexif (resp. réflexif) par un sous-espace fermé peut n'être pas semi-réflexif (resp. réflexif) ; en revanche, un sous-espace fermé d'un espace semi-réflexif est semi-réflexif.
Soit E un espace localement convexe. Les conditions suivantes sont équivalentes :
Un produit et une somme directe topologique d'espaces localement convexes semi-réflexifs (resp. réflexifs) est un espace semi-réflexif (resp. réflexif). Une limite inductive stricte d'une suite d'espaces réflexifs est un espace réflexif. Un espace localement convexe semi-réflexif est distingué.
La théorie de la dualité, telle qu'exposée plus haut, se simplifie notablement dans les cas particuliers étudiés ci-après.
Le cas des espaces tonnelés quasi complets (ou même complets) est très important car la plupart des espaces rencontrés en analyse fonctionnelle soit ont cette propriété, soit sont les duals d'espaces ayant cette propriété. Cela est dû au fait que les espaces de Fréchet (donc les espaces de Banach) sont tonnelés et complets (donc quasi complets), que la limite inductive d'une famille d'espaces tonnelés est tonnelée, et que la limite inductive stricte d'une suite d'espaces localement convexes quasi complets (resp. complets) est quasi complète (resp. complète). Un espace bornologique quasi complet (ou même semi-complet) est tonnelé et son dual fort est complet.
Rappelons que si E est un espace localement convexe, les parties convexes fermées dans E et les parties bornées dans E sont les mêmes pour toutes les topologies de E compatibles avec la dualité, et en particulier pour la topologie affaiblie et la topologie initiale.
Soit E un espace tonnelé quasi complet. Alors E est un espace de Mackey, donc est un sous-espace vectoriel topologique de son bidual (et ce sous-espace est fermé si E est complet). De plus, les ensembles bornés de , pour toute bornologie de E, sont identiques. On peut donc appeler ces ensembles, sans risque de confusion, les ensembles bornés de . Ces ensembles coïncident avec les ensembles équicontinus, les ensembles *-faiblement relativement compacts et les ensembles *-faiblement précompacts.
En particulier soit E un espace tonnelé et une partie de .
Un espace tonnelé quasi complet E est réflexif si, et seulement s'il est semi-réflexif, donc si, et seulement si toute partie bornée de E est relativement compacte dans (i.e. est faiblement relativement compacte).
Proposition — Un espace localement convexe est tonnelé, quasi complet et réflexif si, et seulement si son dual fort est tonnelé, quasi complet et réflexif.
Si E est un espace tonnelé, quasi complet et réflexif, les propriétés (1) et (2) ci-dessus restent donc valides si l'on échange les rôles de E et . C'est notamment ce qui se produit dans la théorie des distributions[28] puisque, désignant un ouvert de ou une variété différentielle de dimension finie paracompacte, l'espace des fonctions indéfiniment dérivables dans est un espace tonnelé complet réflexif (c'est même un espace de Montel complet).
Soit E un espace de Banach. Il est tonnelé et complet, donc tout ce qui précède s'applique. De plus, son dual fort est un espace de Banach, ainsi que son bidual fort , et E est un sous-espace de Banach de . Soit et . On a, avec ou
par conséquent la boule unité fermée de est le bipolaire de la boule unité fermée de . Par suite, est l'adhérence de pour la topologie , donc E est dense dans muni de cette topologie. On sait que E est réflexif si, et seulement si la boule unité est compacte pour la topologie affaiblie . Si E et F sont deux espaces vectoriels normés et u une application linéaire continue de E dans F, dont la norme est définie par
on déduit de ce qui précède que .
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