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processus biogéochimique De Wikipédia, l'encyclopédie libre
L'acidification des océans est la diminution progressive du pH des océans. Il a été estimé que de 1950 à 2021, le pH des eaux superficielles des océans a diminué, passant de 8,15 à 8,05[1] — l'eau de mer est légèrement basique (c'est-à-dire pH > 7) et on parle d'acidification des océans dès lors que le pH devient moins basique. C'est « l'autre problème »[2] induit par l'augmentation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) d'origine anthropique dans l'atmosphère.
Selon les modèles biogéochimiques disponibles, d'importants changements dans la chimie et la biochimie océaniques sont à attendre[3], de même que des impacts délétères sur les écosystèmes. Les effets sur les récifs coralliens[4] sont très étudiés (dont en mésocosmes[5]) et les plus médiatisés, mais d'autres effets existent et sont attendus dans la plupart des milieux aquatiques. Selon l'Organisation météorologique mondiale (OMM), cette acidification pourrait en partie expliquer l'augmentation annuelle record du taux de CO2 dans l'atmosphère mesurée en 2013, et donc contribuer au dérèglement climatique. Selon les données réunies par l’OMM en 2013-2014, l'océan mondial absorbe actuellement un quart environ des émissions anthropiques de CO2, soit environ 4 kg de CO2 par jour et par personne[6] (c'est-à-dire près de 22 millions de tonnes de CO2 absorbée par jour de manière globalisée)[7],[8]. Cet effet « pompe à carbone » contribue fortement à réduire la quantité de CO2 de l’atmosphère, dont le CO2 issu des combustibles fossiles, mais cette capacité semble se dégrader en raison des effets combinés du réchauffement et de l'acidification qui affectent la production et la fixation de carbonates marins (principal puits de carbone planétaire)[6]. Selon l'OMM, le pompage océanique du carbone est déjà réduit en 2013 à 70 % de ce qu'il était au début de l'ère industrielle et il pourrait s'affaiblir jusqu'à 20 % d'ici 2100[6], tandis que, selon les données paléoenvironnementales disponibles, l'acidification des océans suit actuellement un rythme inédit durant les trois-cents derniers millions d'années et ne pourra qu'accélérer encore jusque 2050[6] (et au-delà si d'importants efforts de mitigation ne sont pas entrepris).
Le rapport 2014 du GIEC puis celui de l'OMM[6] ne décèlent d'ailleurs pas d'amélioration en tendance de la concentration croissante du CO2 dans l'air, et « le scénario retenu par la plupart des scientifiques conduit à une diminution du pH, d'ici la fin du siècle, de 0,3. Si a priori ce chiffre semble faible, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une grandeur logarithmique, soit une acidité multipliée par deux »[9].
L'acidification des océans est une des neuf limites planétaires, non encore franchie en 2023[10] d'après les travaux du Stockholm Resilience Centre.
Cette acidification a au moins trois causes anthropiques identifiées :
Ces trois facteurs associés pourraient avoir des effets environnementaux synergiques, et acidifient les eaux côtières plus rapidement que ne le prévoyaient les premières modélisations.
Environ six téramoles d'azote actif (et deux téramoles de soufre) seraient annuellement injectées dans l’atmosphère, ce qui est bien moins que les 700 téramoles de CO2, selon une étude[réf. nécessaire] récente pilotée par Scott Doney (en) (Institut océanographique de Woods Hole, Massachusetts, USA). Cet azote aurait sur certains littoraux un impact équivalent à 10 à 50 % de celui du CO2. L'océan lointain est moins touché, mais les zones côtières et proches du plateau continental sont largement les plus importantes pour l'Homme (pêche, activité économique et touristique)[réf. nécessaire].
Il semble de plus que les estuaires et les zones mortes ne remplissent plus leur rôle de puits de carbone, et que l'acidification est un phénomène qui puisse — parfois (comme dans le cas du drainage minier acide) et dans une certaine mesure — s'autoentretenir[réf. nécessaire].
Dans le cycle du carbone naturel, la concentration de dioxyde de carbone (CO2) représente un équilibre de flux entre les océans, la biosphère terrestre, et l'atmosphère. L'usage de combustibles fossiles et notamment la production de ciment entraînent un nouveau flux de CO2 dans l'atmosphère. Une partie reste dans l'atmosphère, une autre partie est absorbée par les plantes terrestres, et une dernière partie d'environ 25 % est absorbée par les océans.
Quand le CO2 se dissout, il réagit avec l'eau pour former un équilibre d'espèces chimiques ioniques et non ioniques : dioxyde de carbone libre dissous CO2(aq) (très partiellement hydraté en acide carbonique dissous H2CO3(aq)), bicarbonate HCO3− et carbonate CO32−. La proportion de ces espèces dépend principalement de l'alcalinité de l'eau et secondairement de facteurs tels que la température et la salinité de l'eau de mer qui décline localement (là où les glaces ou glaciers fondent rapidement).
(voir l'article Solubility pump consacré à la pompe de solubilité de l'océan).
Une idée courante est que la perte de capacité de biominéralisation des organismes à squelette ou coquille calcaire serait principalement due à un manque d'ion carbonate[12], mais les recherches récentes suggèrent que, c'est plus probablement la réduction du pH de l'eau de mer (c'est-à-dire l'augmentation du taux de protons [H+]) qui est le facteur le plus direct des difficultés de calcification apparues chez ces organismes. Trop de protons dans l'eau modifie les équilibres osmotiques et empêchent la plupart de ces organismes de maintenir leur homéostasie du pH[12]. Le manque d'ions carbonate est aussi en jeu, car le coût énergétique de la calcification augmente quand la saturation de l'eau en carbonates diminue[13].
Au niveau planétaire, l'apport anthropique d'azote n'influence quantitativement que modestement l'acidification de l'océan (loin derrière le CO2). Mais près des côtes, où l'on trouve une grande partie de la biodiversité marine (dont une partie est une ressource alimentaire), les apports anthropogéniques de soufre et d'azote (0,8 Tmol/an de soufre réactif et 2,7 Tmol/an d'azote réactif au tout début du XXIe siècle[14]) sont très importants, et leurs effets acidifiants plus sérieux. Des apports d'azote atmosphérique vers l'océan sont en outre aussi en forte augmentation, dont dans le nord-ouest du Pacifique[15].
Dans l'hémisphère nord, le bilan des entrées de ces deux éléments dans les couches supérieures de l'océan est clairement acidifiant.
Sous les tropiques, il est initialement plutôt basique, mais in fine acidifiant en raison du taux de transformation de l'ammoniac en nitrate dans l'écosystème[14]. Sur la planète, le bilan final est presque partout acidifiant et il réduit sur les littoraux la quantité de CO2 que l'océan peut dissoudre.
Ailleurs, on a constaté que dans des parties oligotrophes (pauvres en éléments nutritifs) de l'océan certaines cyanobactéries fixatrices d'azote et responsables de blooms bactériens, comme celles du genre Trichodesmium profitent du taux accru de CO2 et deviennent l'origine d'une partie importante de la productivité primaire de l'océan, au détriment des espèces animales à coquille ou squelette calcaire. Là, une forte augmentation de la fixation de carbone et d'azote est constatée (traduite dans le rapport C/N[16]. En Baltique et dans l'estuaire australien de Peel-Harvey, une microalgue filamenteuse (Nodularia spumigena) se comporte de la même manière[17],[18]. À 750 ppmv de CO2, les taux de fixation de CO2 ont augmenté de 15 à 128 % et des taux de fixation de N2 ont augmenté de 35-100 % par rapport aux conditions actuelles de CO2, pendant la journée[19]. Le caractère « hétérocyste » ou « non hétérocyste » de l'espèce pourrait expliquer certaines adaptation ou tolérance à l'acidification de l'eau[18].
Dans le cycle de l'azote[20], l'azote anthropique (NOx), avec les oxydes de soufre atmosphériques contribue à l'acidification des mers[14]. Et cette acidification diminue les capacités de nitrification des écosystèmes marins[21]. La part anthropique de l'azote[22] est en augmentation presque partout dans l'hémisphère nord et dans une partie de l'hémisphère sud.
Les apports terrigènes d'azote et de phosphore des cours d'eau à l'Atlantique Nord ont été mesurés pour 14 grandes régions d'Amérique du Nord et du Sud, d'Europe, d'Afrique : le bassin amazonien domine le flux global de phosphore (c'est aussi le flux le plus élevé de phosphore par unité de surface) mais il est maintenant dépassé en termes de flux total d'azote par les bassins versants du nord-est des États-Unis, qui dépassent tous 1 000 kg d'azote par km2/an[22].
Le flux azote déversé dans Atlantique-Nord par chaque bassin versant est corrélé à la densité de population du bassin (comme cela avait déjà été observé pour les flux de nitrate de grands fleuves du monde) ; les auteurs de cette étude jugent « frappante » la forte corrélation linéaire entre les flux d'azote total et la somme des apports d'azote d'origine anthropique dans les régions tempérées (engrais, dépôts atmosphériques des NOx anthropiques, fixation par les légumineuses, et importation/exportation d'azote via les produits agricoles). Les fleuves des grandes régions étudiées exportent en mer environ 25 % de l'azote qui a été introduit par l'humain dans les écosystèmes (le reste étant éliminé par dénitrification dans les écosystèmes humides et aquatiques qui semblent être le puits d'azote dominant ; mais la forêt semble aussi avoir de l'importance en termes de stockage/pompage de l'azote[22]. Les eaux souterraines en stockent et dénitrifient un peu et localement, mais sont un « très petit puits d'azote » à l'échelle des continents.
L'agriculture est principalement responsable dans de nombreuses régions (dans le bassin du Mississippi et les bassins de la mer du Nord notamment), et les retombées de NOx sont la première cause d'exportation d'azote vers la mer dans plusieurs régions (dont au nord-est des États-Unis).
Si l'on considère les zones peu anthropisées comme référence, les auteurs estiment que le flux d'azote terre → mer a – dans presque toutes les régions tempérées – augmenté de 2 à 20 fois (selon les régions) de l'époque préindustrielle au début du XXIe siècle. Seules quelques régions (ex : Grand-Nord Canadien) ont peu changé de ce point de vue[22].
Les bassins de zone tempérée alimentant la mer du Nord, y apportent 6 à 20 fois plus d'azote qu'au début de l'ère industrielle, et le bassin de l'Amazone au moins 2 à 5 fois plus que les flux estimés à partir des régions de la zone tempérée « intacte », malgré la densité de la population et ses faibles apports directs d'azote d'origine anthropique dans la région. Ceci suggère que les flux d'azote naturels ou causés par la déforestation tropicale peuvent être significativement plus élevé qu'en zone tempérée[22]. Comme la déforestation, l'artificialisation des sols et les apports d'engrais se poursuivent en zone tropicale, les auteurs s'attendent à une « spectaculaire augmentation de la charge d'azote de nombreux systèmes fluviaux tropicaux »[22].
Ces espèces pourraient gravement souffrir de l'acidification, combinée au réchauffement[23], les coraux sont un habitat essentiel pour environ 25 % de la vie océanique[24].
Une étude récente a confirmé que le squelette du corail est bien bioconstruit par l'animal[25] à partir de nanoparticules amorphes collectées dans l'eau et agrégées en structures aragoniques grâce à un groupe de protéines riches en acides coralliens et non par simple précipitation inorganique de l'aragonite autour d'un noyau minéral. Ces protéines peuvent a priori fonctionner à des pH un peu plus acides que le pH actuel de l'eau de mer[24] mais - précisent les auteurs - « cela ne signifie pas que les récifs coralliens sont hors de danger ; premièrement car ils ont encore besoin de carbonate de calcium pour constituer le récif (matériau qui devrait être plus rare dans une mer acidifiée) ; deuxièmement car ils resteront toujours menacés par le réchauffement de l'eau et les proliférations algales qui peuvent conduire au blanchissement des coraux et à leur mort ».[24].
Déterminer précisément la contribution de l'acidification au recul des récifs coralliens est « difficile, voire impossible, en raison d'effets de confusion d'autres facteurs environnementaux tels que la température »[26].
En 2016, la revue Nature publie le résultat d'une expérience in situ de réduction de l'acidité de l'eau baignant un récif corallien (au niveau de l'ère préindustrielle) : la calcification du récif a significativement augmenté dans la zone de l'expérimentation. Selon Janice M. Lough[27], ceci laisse supposer que le niveau actuel de l'acidification des océans « peut déjà compromettre la croissance des récifs coralliens »[28].
Des chercheurs de l'Institut Alfred Wegener en Allemagne ont compilé 167 études scientifiques concernant 150 espèces marines (des coraux aux poissons en passant par les crustacés). Ils concluent de ce travail que « tous les groupes d'animaux sont négativement affectés par l'augmentation de la concentration en CO2 » ; les plus sensibles à l'acidification sont « les coraux, les échinodermes et les mollusques » précise le Dr. Astrid Wittmann. « Les crustacés comme le crabe comestible ou l'araignée de mer semblent peu affectés par l'acidification, même si une hausse simultanée des températures leur sera certainement problématique »[29].
De nombreux organismes planctoniques à squelette calcaire ou d'autres animaux à coquille calcaire (et en particulier leurs larves) ont aussi des difficultés à synthétiser leur thèque, planctonique ou coquille[30].
Le dioxyde de carbone absorbé dans l'océan réagit avec les molécules d'eau pour former de nombreux ions tel que l'hydrogénocarbonate (équivalent au bicarbonate). La formation de ces ions réduit la concentration en ions carbonates qui sont nécessaires à la formation de carbonate de calcium. Or le carbonate de calcium est nécessaire à la calcification des coraux (et des coquillages). Cette réaction chimique empêche donc la formation normale des coraux et des coquilles[31].
Une étude sur les effets de l'acidification en Antarctique chez les ptéropodes (ou papillons de mer) montre qu'à partir d'une certaine acifification de l'eau, les individus meurent (en à peine quarante-huit heures[32]), or ces animaux sont à la base du réseau trophique dans cette région et comme certaines algues (coccolithes) qui sécrètent des coquilles à base de calcium, ils jouent un rôle important dans le cycle du carbone.
De jeunes coraux australiens cultivé dans des conditions de température et de taux de CO2 telles qu'attendues pour 2100 montrent une moindre croissance squelettique, mais ils développent aussi différents types de malformations du squelette qui compromettraient leur chance de survie et de bonne croissance sur le récif[33],[34].
D’autres travaux menés en Papouasie-Nouvelle-Guinée montrent, dans des conditions d’acidité semblables une forte prolifération des algues non calcaires et une réduction d’environ 40 % de la biodiversité des coraux. Or, comme le note le rapport, les récifs coralliens sont actuellement une source de revenus indirecte pour environ 400 millions de personnes, vivant majoritairement en zone tropicale[35].
L'acidité des océans aurait augmenté de 30 % environ depuis le début de la révolution industrielle. Ceci correspond à une chute de 0,1 du pH, pour atteindre 8,1 ou 8,14 selon les sources aujourd'hui (les océans sont ainsi alcalins et non acides, leur pH se situant au-dessus de 7)[36],[37].
La diminution du pH des eaux de surface de l’océan et l'augmentation de la pression partielle de CO2 (pCO2) se font à des vitesses différentes selon les régions, mais elles sont déjà détectées in situ depuis plusieurs décennies[6] dans de grandes régions subpolaires aux zones subtropicales et tropicales[6]. Les variations les plus extrêmes figurent dans les séries chronologiques enregistrées dans les zones subpolaires, ce qui s'explique par le fait que les différences saisonnières de température et de productivité biologique y sont les plus marquées[6].
Sur la base des prévisions du GIEC (ou IPCC en anglais), l'augmentation actuelle du taux de CO2 dans l’atmosphère devrait encore diminuer le pH des eaux du globe de 8,14 actuellement à 7,8 d'ici la fin du siècle[38]. Un rapport du PNUE fait part d'une diminution du pH de 0,3 d'ici 2100, tandis qu'un communiqué de presse du CNRS avance une baisse de 0,4[39],[40].
En 2014, le rapport sur les effets de l'acidification des océans sur la biologie marine (synthétisant une centaine d'études sur ce thème), présenté à la 12e réunion de la Convention sur la diversité biologique (CDB) à Pyeongchang (Corée du Sud) confirme que l'acidification a progressé (en moyenne de 26 % depuis l'époque préindustrielle) et que si, depuis deux siècles, l'océan a absorbé plus du quart du CO2 anthropique, contribuant à acidifier le milieu océanique, « de façon quasiment inévitable, d'ici 50 à 100 ans, les émissions de dioxyde de carbone vont encore augmenter l'acidité des océans à des niveaux qui auront des impacts massifs, le plus souvent négatifs, sur les organismes marins et les écosystèmes, ainsi que sur les biens et les services qu'ils fournissent »[41]. « De nombreuses études montrent une réduction des taux de croissance et de survie des coraux, mollusques et échinodermes [étoiles de mer, oursins, concombres de mer, etc.]. » Certaines espèces supporteront mieux l'acidification que d'autres. Certaines subiront une dégradation de leurs systèmes sensoriels induisant des anomalies de comportement (poissons, certains invertébrés)[41]. Les cycles biogéochimiques du carbone, de l'azote du fer et du calcium en seront affectés, dans les habitats côtiers plus qu'en haute mer et plus vite en Arctique qu'en Antarctique (plus froid)[41]. « Le coût global des impacts de l'acidification des océans sur les mollusques et les récifs coralliens tropicaux est estimé à plus de 1000 milliards de dollars par an d'ici la fin du siècle[41]. » Des phénomènes d'acidification ont déjà eu lieu, dont au Paléocène-Éocène (il y a 56 millions d'années), mais il semble aujourd'hui trop rapide pour qu'un grand nombre d'espèces puisse s'y adapter. « Même si les émissions de CO2 sont réduites de manière significative, l'acidification des océans se poursuivra durant des dizaines de milliers d'années, les modifications considérables pour les écosystèmes, et la nécessité d'apprendre à vivre avec ces changements semblent donc certains »[41].
2018 et 2019 ont connu des records de réchauffement des eaux entre 0 et 2 000 mètres[42], les dix dernières années étant les dix plus chaudes jamais enregistrées dans l’océan. 2019 a aussi connu un nouveau record d'absorption nette de CO2 par l'océan pour la période de 1982 à 2019 : ~ 2,4 Pg C, soit u+0,2 Pg C par rapport à 2018, ce qui poursuit une tendance amorcée en 2000-2002 et a aggravé l'acidification des océans (pH diminuant dans la plus grande partie de l'océan, surtout dans ses eaux les plus froides : 0,018 ± 0,004 unité par décennie depuis la période préindustrielle)[42].
En perturbant et dégradant certains écosystèmes (coralliens notamment[43]), l'acidification des mers dégrade d'importants services écosystémiques et de manière générale tous les écosystèmes.
Elle met en péril de nombreuses espèces[43],[44],[45].
En affectant les animaux à coquilles, l’acidification peut conduire à une dégradation de la qualité de l'eau et des sédiments, faute d'animaux filtreurs tels que les moules et les huîtres[46] qui filtrent et nettoient quotidiennement de grands volumes d'eau[47].
Certains oursins se montrent sensibles à de faibles baisses de pH (proches de celles qui sont attendues d'ici quelques décennies), qui dégradent leurs capacités de reproduction[48].
En 2013, les 540 experts et scientifiques réunis au 3e symposium de Monterey sur l'acidification des océans[49],[50] (de 2012) ont voulu réattirer l'attention des décideurs sur cet enjeu planétaire en rappelant que – alors que la coquille d'escargots aquatiques commence à être érodées dans certaines parties de l'océan – le chiffre d'affaires généré par les activités des éleveurs de moules et huîtres et pêcheurs d'échinodermes (oursins), de crustacés (crevettes, crabes) et de poissons approche les 130 milliards de dollars (96,5 Md€), et que la régression ou disparition de certaines espèces consommées par l'humain (poissons notamment) aurait des conséquences sur la sécurité alimentaire[51].
Ils ajoutent que via la protection du littoral et de la faune côtière contre la houle et les tempêtes, et via le tourisme et la pêche qu'ils favorisent, les récifs et sables coralliens fournissent des services dont la valeur a été estimée comprise entre 30 et 375 Md$ (22 à 278 Md€) par an (selon les modalités de calcul)[51]. Les huîtres sont d'ailleurs aussi partie majeure dans la ligne de mire de ce phénomène, car dans impossibilité de se développer convenablement étant donné la faible production de coquilles agissant comme élément protecteur dans leur croissance[52].
Les effets de l'acidification s'observent déjà dans le secteur de l'aquaculture dans le Nord-Ouest des États-Unis qui connaît une mortalité élevée dans les écloseries d'huîtres[53].
Le coût global des impacts de l'acidification des océans sur les mollusques et les récifs coralliens tropicaux est estimé à plus de 1.000 milliards de dollars par an d'ici la fin du siècle[53].
L’océan contient 50 fois plus de carbone que l’atmosphère et il échange chaque année des quantités importantes de carbone avec cette dernière. Au cours des dernières décennies, l’océan a ralenti la vitesse du changement climatique anthropique en absorbant près de 30 % des émissions anthropiques de dioxyde de carbone. Alors que cette absorption de carbone anthropique est le résultat de processus physico-chimiques, la biologie marine joue un rôle clé dans le cycle du carbone naturel en séquestrant de grandes quantités de carbone dans les eaux de l’océan profond. Des modifications de ces processus physiques, chimiques ou biologiques, pourraient conduire à des rétroactions dans le système climatique et ainsi accélérer ou ralentir le changement climatique en cours. Ces rétroactions entre le climat, l’océan et ses écosystèmes ont besoin d’être mieux comprises afin de pouvoir prédire de façon plus solide l’évolution des caractéristiques de l’océan du futur, et l’évolution combinée du CO2 atmosphérique et du climat[54].
L'acidification des eaux dégrade aussi le puits de carbone océanique planétaire, déjà malmené par la réduction de la couche d'ozone et la pollution de l'eau et la surpêche[51].
Dans les années 2000, sur la base de diverses expériences en laboratoire ou in situ, on a compris que les odeurs portées par l'eau peuvent jouer un rôle important pour les larves et les juvéniles[55] de poissons de récifs qui les utilisent pour s'orienter[56], détecter et éviter des prédateurs[57] ou trouver des zones favorables à leur survie et future croissance ; l'odeur du récif fait que les larves ne se laissent pas emporter vers la pleine mer[58]. Les larves de poissons récifaux, dès leur éclosion, bien que ne mesurant que quelques millimètres disposent d'un système sensoriel efficace leur permettant de capter les odeurs en solution dans l'eau[59],[60].
On a longtemps cru que les larves de poissons coralliens étaient emportées à grande distance et qu'elles pouvaient coloniser d'autres récifs, alors que leur récif natal pouvait être colonisé par des juvéniles nés ailleurs. Une étude basée sur le marquage de 10 millions d'embryons de Pomacentrus amboinensis (en) prélevés sur la grande barrière de corail et relâchés en mer a montré qu'au contraire les larves regagnent leur récif natal[61], probablement en reconnaissant sa signature biochimique et olfactive. La plupart des larves vont en réalité s'installer très près du lieu de leur naissance[62],[63]. L'odorat a une importance vitale pour les larves des poissons coralliens étudiés ; il leur permet de détecter la présence d'autres poissons (dont prédateurs) dans le récifs[64], et expliquerait leur fidélité au récif, caractéristiques de nombreux poissons coralliens[65] ou à un individu d'une espèce symbiote (anémone pour l'amphiprion par exemple[66]).
En 2009, une étude montre que chez le poisson clown utilisé comme espèce modèle, les larves de poissons exposées à une acidification de l'eau perdent leur capacité à distinguer l'odeur des habitats coralliens qu'elles devraient rechercher pour atteindre l'état adulte ; pire, à un pH de 7,8 (qui sera celui des mers chaudes vers 2100 selon les études prospectives) elles sont alors fortement attirées par des stimuli olfactifs qui normalement les repoussent, et au-delà d'un pH 7,6, elles ne semblent plus percevoir aucun stimuli olfactif[67].
Des travaux plus récents effectués en laboratoire puis vérifiés in situ sur un récif du centre de la barrière de corail de Papouasie-Nouvelle-Guinée naturellement acidifié par un dégazage volcanique sous-marin permanent de CO2 ont montré qu'une eau acidifiée (comparable à celle qui baignera la plupart des récifs coralliens du monde entier dans 50 à 80 ans, selon les chercheurs) a un effet comportemental inattendu et très marqué sur certains poissons : ils ne fuient plus l’odeur de leur prédateur, et ils s’exposent anormalement, de manière suicidaire au risque d’être mangé[68] (très bien montré dans un documentaire australien diffusé sur Arte en 2014[32]). Les poissons carnivores semblent plus touchés par ce phénomènes que les poissons herbivores[9]. On ignore si c'est l'acidification ou l'effet du CO2 en tant que molécule sur le poisson qui est en cause.
Pour toutes ces raisons Munday & al (2010) estiment que la reconstitution des populations de poissons sur des zones récifales dégradées en cours de restauration sera de plus en plus difficile, voire menacée par l'acidification des océans[69] qui pourrait donc dégrader les capacités de résilience écologique des océans. Le fait qu'à 700 ppm de CO2, de nombreux poissons se montrent attirés par l'odeur de prédateurs et qu'à 850 ppm de CO2 ils perdent la capacité de sentir les prédateurs et que les larves exposées à concentration élevée de CO2 se montrent anormalement actives et imprudentes les expose à un risque accru d'être mangées (elles subissent une mortalité 5 à 9 fois supérieure à la normale et plus le taux de CO2 augmente, plus élevée est la mortalité par prédation). Sans odorat normal beaucoup de larves pourraient en outre ne pas trouver le récif ou le lieu du récif où elles devraient s'installer et se perdre et mourir en mer.
En 2011, une autre étude montre que l'audition du poisson clown (Amphiprion percula) est également dégradée (dès le stade juvénile) quand l'eau est acidifiée, ce qui perturbe par exemple leur capacité à se diriger vers le récif ou vers un lieu particulier[70].
En 2012, une étude conclut que la fonction de neurotransmission du système olfactif des poissons est affectée par l'acidification[71].
La réponse de prédateurs aux stimuli olfactifs issus de leurs proies favorites est également amoindrie par l'acidification, comme le montre une étude de 2015 sur des jeunes requins placés pendant cinq jours dans une eau normale ou bien enrichie en CO2 comme on pense que le sera l'eau des océans en 2050 ou 2100[72],[73].
On ignore encore si ces comportements anormaux et nocifs pour les espèces qui les adoptent pourraient (et à quelle vitesse) disparaitre (via les mécanismes de la sélection naturelle).
L'acidification des océans entraîne un changement dans la composition des communautés phytoplanctoniques. L'absorption du dioxyde de carbone atmosphérique par l’océan forme un composé acide, l’acide carbonique (H2CO3 par la réaction entre l'eau et le dioxyde de carbone : CO2 + H2O → H2CO3[74]. Sous cette forme, le carbonate ne peut pas se lier au calcium empêchant donc la formation de coquille chez les espèces de phytoplancton calcifiantes[75].
La présence accrue d'ions H+ dans l'eau océanique acidifiée peut également causer la dissolution des coquilles déjà formées. Le carbonate est arraché du calcium puis se lie à un ion H+ laissant donc la coquille structurellement affaiblie.
L'acidification des océans entraîne une diminution du diamètre des cellules et l'augmentation du taux de croissance chez le coccolithophore E. huxleyi[76]. Chez d'autres espèces de coccolithophore et autres phytoplanctons à coquilles, il est possible d'observer une diminution de la calcification ainsi que la dissolution des coquilles. Une autre étude a aussi démontré qu'il existe une possible diminution de la biomasse et de la productivité des phytoplanctons aux basses et aux moyennes latitude due à une augmentation de la concentration du dioxyde de carbone à la surface des océans. Ceci peut être expliqué par une hausse de la température à la surface de l'océan, ce qui cause une augmentation de la stratification thermique de ses couches supérieures, et provoque une réduction dans le mélange vertical des nutriments aux eaux de surface, ce qui freine le taux de photosynthèse[77].
Les espèces de phytoplanctons non calcifiantes tel que les cyanobactéries et les algues vertes sont affectés différemment par l’acidification. Certaines espèces semblent bénéficier du bouleversement pour différentes raisons. Entre autres, un milieu plus acide aurait pour effet d'augmenter la disponibilité de certains nutriments ainsi que de réduire la compétition interspécifique en réduisant le nombre d'espèces dans un écosystème donné (perte des espèces calcifiantes). Cela cause la croissance exponentielle de certaines espèces de microalgues et conséquemment l'eutrophisation des plans d’eau affectés[78].
Les conséquences liées à la perte de diversité et de biomasse des populations de phytoplancton sont encore peu connues ; toutefois, il est connu que le phytoplancton est à la base du réseau trophique océanique et que ces organismes sont responsables de presque 50 % de la productivité primaire globale[79].
L'Allemagne a lancé le un programme national de recherche sur l'acidification des océans (BIOACID[80] pour « biological impacts of ocean acidification ») avec 8,5 millions d'euros sur 3 ans (dont 2,5 millions pour le Leibniz-Institut für Meereswissenschaften de Kiel qui coordonne le programme) apportés par le Ministère fédéral de l'enseignement et de la recherche (BMBF). Dès 2009, plus de 100 chercheurs (biologistes, chimistes, physiciens, paléontologues, mathématiciens, etc.) venant de 14 instituts y contribueront, ainsi qu'une entreprise en pointe dans la technologie des capteurs. Le programme portera sur la mer du Nord et la Baltique, ainsi que sur des zones polaires ou tropicales particulièrement vulnérables à l'acidification.
Des partenariats avec d'autres pays sont prévus, dont avec les scientifiques anglais du programme de recherche sur l'acidification des mers (« UKOA ») lancé en 2010[81], les États-Unis et l'Union européenne (don avec le programme « EPOCA »). Selon ses initiateurs, c'est le premier programme de cette importance dans le monde[82].
Une des difficultés est de mieux comprendre les effets synergiques qui existent entre l'acidification, la montée en température, les zones d'anoxies et d'autres modifications anthropiques des milieux, qui pourraient aggraver et/ou accélérer les changements globaux[83].
Des recherches sur les impacts de cette acidification montrent que plus le taux d'acidification est important, plus les espèces ayant des coquilles (plancton microscopique à la base de la chaîne alimentaire, coquillages, mollusques ou coraux) ont des difficultés à les fabriquer[84]. L'acidification modifie également le comportement des poissons, concernant la capacité à rechercher des proies ou à échapper un prédateur, et des recherches se poursuivent afin d'en connaître la raison[85].
Le nord de l'océan Indien est devenu au moins 10 % plus acide que les océans Atlantique et Pacifique, en raison de sa configuration géographique. L'océan Indien est en effet séparé de l'océan Arctique, et la chimie du nord de son bassin est influencée par les rivières qui drainent l'important continent eurasien, ainsi que par les pluies de mousson[réf. souhaitée].
Le pH des océans varie davantage dans les eaux froides de Sibérie, d'Alaska, du Pacifique Nord-Ouest et de l'Antarctique. Au printemps et en été, les impressionnants blooms planctoniques absorbent une partie du CO2 présent dans l'eau, faisant diminuer l'acidité. Au contraire, en hiver, l'acidité augmente à cause des remontées d'eaux riches en CO2 des profondeurs océaniques[réf. souhaitée].
Une étude publiée en , dirigée par des chercheurs du LSCE, indique qu'entre 1800 et 2001, la Méditerranée a absorbé entre 1 et 1,7 Gt de carbone (milliard de tonnes) d'origine anthropique.
Cela a engendré une diminution du pH de 0,08 unité en moyenne, soit une augmentation de l’acidité de 20 %. Cette variation est similaire à l'évolution des océans ouverts, bien que l’absorption de CO2 anthropique par la Méditerranée y soit plus intense. Le taux d'acidification des eaux de fond de la Méditerranée est par contre plus élevé que celui des océans profonds, à cause de leur renouvellement rapide, comme dans le Golfe du Lion[réf. souhaitée].
L’étude d’une zone proche du Vésuve, en Méditerranée, soumise à un pH comparable à celui attendu pour 2100 montre une baisse de 70 % de la biodiversité des organismes calcaires, explique M. Gattuso. Et une chute de quelque 30 % de la diversité des autres organismes[35].
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