Après six semestres d’ouverture, les services de la RUS sont transférés à Tübingen par décret le pour y connaître une continuité administrative qui cesse définitivement le à l’approche des troupes alliées. Bien que repliée en Auvergne durant la guerre et non impliquée dans les crimes perpétrés par les autorités nazies, l’université de Strasbourg doit aujourd'hui composer avec cet héritage faisant l'objet d'un devoir de mémoire[9],[10].
En 1934 la conception de Reichsuniversität prend forme en tant qu'exemple national-socialiste. Fin 1938 il est décidé d'implanter des Reichsuniversitäten en dehors du Reich, uniquement dans les territoires qui seront ultérieurement annexés, afin qu’elles amènent ses valeurs intrinsèques et qu’elles participent au rayonnement culturel, économique, et surtout politique, du Reich. Les trois principales Reichsuniversitäten qui seront fondées (Reichsuniversität Prag, Reichsuniversität Posen et Reichsuniversität Straßburg) rempliront ce rôle, chacune en fonction de sa situation. Si la Reichsuniversität Straßburg doit devenir le « rempart combattant du grand Reich allemand national-socialiste contre l'Occident », les deux autres, à Prague et à Posen, sont appelées à jouer ce même rôle contre le monde slave[11].
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Dès le début de la guerre, Strasbourg alors située sur la frontière allemande est déclarée zone militaire par l'état-major français, l'université tout comme la population de la ville est alors évacuée.
Après l'armistice du 22 juin 1940, les Allemands annexèrent de facto l'Alsace-Moselle, rouvrirent l'université de Strasbourg et enjoignirent aux professeurs et étudiants alsaciens-mosellans de rentrer immédiatement. En août 1940, Robert Wagner, le chef de l'administration civile, lance ainsi son « opération Alsace » afin de faire rentrer à grands frais les Alsaciens dans leur pays; elle dure jusqu'en avril 1941. Un certain nombre d'entre eux refusèrent toute idée de retour et réussirent à convaincre Vichy de maintenir ouverte l’université française de Strasbourg à Clermont-Ferrand. Un nouveau recteur de l'université, Karl Schmidt, professeur d'ophtalmologie, est nommé par les nazis.
Mais les nazis ne se contentent pas de rouvrir l’université telle quelle, ils décident de recréer l'université dans la continuité de la Kaiser-Wilhelm-Universität, l'ancienne université impériale allemande de Strasbourg établie de 1872 à 1918, date à laquelle elle retourna à la France. Les personnels de l'université viendront de tout le Troisième Reich, ainsi l'université accueillera le physicien et philosophe allemand Carl Friedrich von Weizsäcker qui travaille à cette époque dans l'équipe de recherche qui essaya de développer l'arme atomique en Allemagne. Les transactions pour la nomination des différents professeurs débutent dès janvier 1941, mais le choix du collège entier d'une université est difficile et cela d'autant plus qu'il y a chevauchement de prérogatives entre Robert Wagner et Bernhard Rust, ministre des Sciences, de l'Éducation, et de la Formation populaire (conflit qui nécessitera même l'intervention d’Adolf Hitler en personne). Les nazis vont investir massivement dans la rénovation, le remeublement, la construction, la reconstitution des bibliothèques et l'installation d'appareillages sophistiqués. En parallèle, ils récupèrent aussi, dès 1941, tous les livres et tout le matériel scientifique des différents Instituts de l'université qui ont été évacués à Clermont-Ferrand, Paris, Bordeaux, Lyon, et en Dordogne. Le 23 novembre 1941, et cela bien que tout ne soit pas encore au point (certains cours de la faculté des Sciences et les cours de sciences fondamentales de la faculté de médecine ne pourront pas avoir lieu à la rentrée faute d'avoir terminé les aménagements des locaux), a lieu l'inauguration de la «Reichsuniversität Straßburg». Le nouveau corps professoral prend forme et tous doivent signer leur allégeance politique, ainsi pour la faculté de médecine on peut constater que 100% de ses professeurs sont membres du NSDAP et que même 25% sont membres des SA et 21% des SS (comme les professeurs August Hirt, Otto Bickenbach et Eugen Haagen), des pourcentages très nettement supérieurs à la moyenne de la population médicale allemande.
L'université allemande fut le théâtre des recherches pseudo-scientifiques et antisémites du médecinallemand, membre des SS et de l'Institut d'anthropologie raciale AhnenerbeAugust Hirt. Celui-ci entre en poste aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, plus précisément à l'Institut d'anatomie normale. C'est dans le cadre de ses études raciales, qu'il conçoit le projet d’une collection de squelettes juifs et c'est pour cette raison qu'il présente son plan de recherches au Reichsführer-SSHeinrich Himmler. Ce dernier approuve le projet, et Hirt peut commencer «ses expériences médicales». C'est à ce stade que des hommes et des femmes sont «sélectionnés» en août 1943 au camp d'Auschwitz par son assistant, l'anthropologue SS Bruno Beger, avant d'être envoyés au camp de concentration du Struthof-Natzweiler, situé non loin de Strasbourg, en Alsace. Divisés en quatre groupes, ils sont successivement gazés quelques jours après et leurs cadavres sont mis à sa disposition afin qu'il puisse séparer les têtes et étoffer sa collection de squelettes.
L'importance (militaire) de certains instituts de l'université est telle qu’ils sont évacués dès le débarquement des Alliés en Normandie en juin 1944. Ainsi l’institut de recherche de la faculté de médecine reçoit l'ordre de se replier sur Tauberbischofsheim et sur Wurtzbourg. Étant donné la menace de l'avance des troupes alliées, en septembre 1944 le projet de collection de squelettes juifs de Hirt est abandonné et Himmler ordonne l'élimination de toute trace de cette collection compromettante. Dans la deuxième semaine d'octobre 1944, le ministre de l'Éducation, Rust, ordonne l'évacuation de la "Reichsuniversität Straßburg". Hermann Göring, en tant que président du Conseil de la Recherche du Reich, ordonne quant à lui l'évacuation des instituts universitaires de Strasbourg s'occupant de « travaux d'intérêt de guerre » (ce qui concerne principalement les scientifiques de la faculté des sciences). Les instituts et leur matériel (livres, registres, lampes, appareils, chaises, armoires…) sont envoyés à Tübingen, puis aux alentours. La "Reichsuniversität Straßburg" va alors fonctionner en parallèle avec l'université de Tübingen. Cependant, surpris par l'avancée des troupes de la 2edivision blindée (2e DB) du général Leclerc, une partie du personnel, principalement ceux des facultés de médecine, de droit et de philosophie à qui le Gauleiter avait ordonné de rester à Strasbourg, va être fait prisonnier lors de l'entrée des troupes alliées dans la ville, le . Par décret du 18 décembre 1944, le siège de la Reichsuniversität Straßburg est transféré à Tübingen. Mais du fait qu'une grande partie de ses enseignants et de ses étudiants a été rappelée sous l'uniforme, elle n'est plus très active.
Le 9 avril 1945, la Reichsuniversität Straßburg à Tübingen cesse définitivement toute activité et dix jours plus tard la ville est occupée par les troupes alliés.
On découvrira plus tard les restes de quatre-vingt-six cadavres, ayant servi aux «expériences» de Hirt. Ils seront inhumés le 23 octobre 1945 dans le cimetière municipal de Strasbourg-Robertsau avant d'être transférés en 1951, dans le cimetière israélite de Cronenbourg.
À partir de l'automne 1941, soixante et onze professeurs sont envoyés de toute l'Allemagne à la Reichsuniversität Straßburg. Parmi ceux-ci voici une liste non exhaustive:
Ernst Anrich(de), doyen de la faculté de philosophie de 1941 à 1942 et fondé de pouvoir du "Reichsdozentenführer" (chef des professeurs d'université du Reich) pour l'université de Strasbourg.
Hans Bender, psychologue et médecin allemand. Il est connu pour être le fondateur de l'Institut für Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiène (IGPP) qui est un grand centre privé menant des recherches en parapsychologie
Otto Bickenbach, directeur (collégial) de l'Institut de Recherche de la faculté de Médecine, département Médecine.
(de) Thomas Mohnike, «Eine im Raum verankerte Wissenschaft? Aspekte einer Geschichte der „Abteilung Germanenkunde und Skandinavistik“ der Reichsuniversität Straßburg», Nordeuropa-Forum, no1, , p.63-85 (ISSN0940-5585, lire en ligne, consulté le );
(de) Alexander Pinwinkler, «Der Arzt als „Führer der Volksgesundheit“? Wolfgang Lehmann (1905-1980) und das Institut für Rassenbiologie an der Reichsuniversität Straßburg», Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, t.43, no3, , p.401-417 (ISSN0035-0974);
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(en) Raphaël Toledano, «Anatomy in the Third Reich: The Anatomical Institute of the Reichsuniversität Strassburg and the deliveries of dead bodies», Annals of Anatomy, no205, , p.128–144 (ISSN1618-0402, lire en ligne, consulté le );
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Catherine Maurer, «Introduction», Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, t.43, no3, , p.323-331 (ISSN0035-0974);
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Monographies
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(de) Herwig Schäfer, Juristische Lehre und Forschung an der Reichsuniversität Straßburg 1941–1944, Tübingen, Mohr Siebeck, , 273p. (ISBN978-3-16-147097-4);
(de) Teresa Wróblewska, Die Reichsuniversitäten Posen, Prag und Strassburg als Modelle nationalsozialistischer Hochschulen in den von Deutschland besetzten Gebieten, Torun, Wydawnictwo Adam Marszalek, , 308p. (ISBN83-7174-674-1, lire en ligne);
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Robert Casel, «La recherche nucléaire allemande à Strasbourg», dans Bernard Reumaux et Alfred Wahl (dir.), Alsace, 1939-1945: la grande encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, La Nuée bleue, (ISBN978-2-7165-0647-2), p.1063-1066;
Jacques Héran, «La faculté de médecine: allemande puis nazie», dans Bernard Reumaux et Alfred Wahl (dir.), Alsace, 1939-1945: la grande encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, La Nuée bleue, (ISBN978-2-7165-0647-2), p.1045-1051;
Rainer Möhler, «"Ce ne sont pas des collègues": l’attitude de la Reichsuniversität Straßburg à l’égard de l’ Université de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand», dans Olivier Forcade, Mathieu Dubois, Johannes Großmann (et al.), Exils intérieurs: les évacuations à la frontière franco-allemande (1939-1940), Paris, PUPS, (ISBN979-10-231-0573-5), p.123–133;
Marcel Rudloff, «De Strasbourg à Clermont-Ferrand», dans Bernard Reumaux et Alfred Wahl (dir.), Alsace, 1939-1945: la grande encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, La Nuée bleue, (ISBN978-2-7165-0647-2), p.591-597;
Patrick Wechsler, «Le Nazisme à l'Université», dans Bernard Reumaux et Alfred Wahl (dir.), Alsace, 1939-1945: la grande encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, La Nuée bleue, (ISBN978-2-7165-0647-2), p.598-604;
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Jean-Marie Schmitt, «Schmidt Karl», dans Jean-Pierre Kintz, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol.33: Scha à Schm, Strasbourg, Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace, (ISBN2-85759-032-6), p.3475;
Patrick Wechsler, La Faculté de Médecine de la «Reichsuniversität Strassburg» (1941–1945) à l’heure nationale-socialiste (thèse de doctorat), Strasbourg, Université Louis Pasteur, , 261p. (lire en ligne);
Raphaël Toledano, Les expériences médicales du professeur Eugen Haagen de la Reichsuniversität Strassburg: faits, contexte et procès d'un médecin national-socialiste (thèse de doctorat), Strasbourg, Université de Strasbourg, , 686p.
Filmographie
L’université de Strasbourg sous le IIIe Reich (Forschung und Verbrechen: Die Reichsuniversität Straßburg), de Filmbüro Süd (prod.) et de Kirsten Esch (réal.), SWR/Arte, 2017, 52 minutes [présentation en ligne]: film documentaire consacré à la Reichsuniversität Straßburg (diffusé le 5 juin 2018);
Le nom des 86, de Dora films (prod.) et de Emmanuel Heyd et Raphael Toledano (réal.), Alsace 20, 2014, DVD, 63 minutes [présentation en ligne]: documentaire consacré à quatre-vingt-six victimes juives tuées par le régime nazi pour constituer la collection anatomique de la Reichsuniversität de Strasbourg.