théorie scientifique erronée du début du XXe siècle De Wikipédia, l'encyclopédie libre
Les rayons N sont d'hypothétiques rayons découverts par le physicien français René Blondlot. Ces rayons étaient censés pouvoir augmenter la luminosité d’une lumière de faible intensité. L'erreur, de bonne foi, n'a duré qu'un an et a été révélée par Robert Williams Wood dans la revue Nature en dans un article présentant le phénomène comme purement subjectif et sans origine physique (le phénomène ayant été «observé» sans le dispositif déclencheur).
Alors que Wilhelm Röntgen vient de découvrir les rayons X en et Henri Becquerel les rayons uraniques en , René Blondlot commence à travailler sur les rayons de Röntgen en . Il annonce en la découverte de nouveaux rayonnements qu'il baptise «rayons N» (de l'initiale de sa ville, Nancy).
Blondlot jouissant d'une excellente réputation à la suite de ses précédentes recherches sur la polarisation des champs magnétiques, cette découverte est accueillie avec enthousiasme. L'Académie des sciences publie de nombreuses notes dans ses comptes rendus hebdomadaires. Blondlot continue ses recherches et accumule les «découvertes», comme celles de nouveaux rayons N1» en .
Deux scientifiques allemands, Rubens et Lummer, remettent vivement en cause la découverte, mais la rivalité entre la France et la Prusse en fait une question d'honneur national[3]. En , La Revue scientifique publie tout de même un article critique d'un chercheur italien, Salvioni[4]. Puis en , la revue Nature[5] publie un article de Robert Williams Wood, traduit un mois plus tard dans La Revue scientifique[6].
Wood y raconte sa visite au laboratoire de Blondlot: les expériences, fondées sur l'observation de la flamme d'une bougie, se déroulent dans la pénombre. À l'insu des expérimentateurs, Wood perturbe les expériences: enlèvement par ses soins du dispositif déclencheur et simulations diverses. Or imperturbablement, les expérimentateurs continuent à «observer» les effets attendus.
La Revue scientifique écrit: «Bien qu'en France on n'entende guère de voix qui s'élèvent contre la légitimité fondamentale de ces recherches, on ne peut (pas) ne pas être frappé par l'écho d'une rumeur qui ne cesse de grossir à l'étranger, rumeur de scepticisme et d'étonnement». À la fin de l'année , l'Académie des sciences attribue tout de même à Blondlot le prix Leconte, d'une valeur de 50 000 francs, «pour l'ensemble de ses travaux».
Blondlot perd peu à peu ses soutiens, l'illusion de l'existence des rayons N a en effet duré à peine une année. Gustave Le Bon, adhérant à la thèse de l'autosuggestion, conclut que «le public à l'avenir saurait […] à quel point un grand corps savant peut être victime de ses plus lamentables erreurs».
Blondlot a entraîné dans son entreprise plusieurs autres chercheurs[7]:
Augustin Charpentier(en) «recherches sensationnelles sur l'émission des rayons par le système nerveux…»;
Adolf Bernard Meyer, sur l'émission par les végétaux «note sur l'étude de l'émission pesante [les rayons N] provenant de l'organisme»;
Les expériences décrites par Blondlot étaient, a posteriori, extrêmement peu fiables. Fondées sur l'observation d'une flamme dont l'éclat varie déjà naturellement de 25% (d'après Wood), les observations nécessitaient, d'après Blondlot «d'éviter toute contrainte de l'œil, tout effort de vision, d'accommodation ou autre» sur la source lumineuse dont on voulait mesurer l'éclat. D'après des physiologistes de l'époque, comme le docteur Weiss, «le relâchement de l'accommodation est accompagné d'une dilatation de la pupille et par suite d'une pénétration plus grande de lumière dans l'œil».
À décharge, l'époque était propice à la découverte de nouveaux rayons. De plus, l'impossibilité de reproduire une expérience ne prouve pas la fausseté de celle-ci, comme l’ont prudemment invoqué des chercheurs interrogés à ce sujet (enquête de La Revue scientifique à la fin ). De même, la vérité scientifique ne peut pas s'établir sur une simple majorité d'opinions. Si des chercheurs ont remis en cause ces résultats, d'autres ont prétendu avoir réussi à les reproduire.
Le physicien Éric Picholle, qui analyse l'affaire des rayons N comme une «suspension involontaire d'incrédulité» (par opposition à la suspension volontaire d'incrédulité), avance que cet effet pourrait avoir été accentué par les passions nationalistes de l'époque, comme en témoigne le choix du N, initiale de Nancy, pour baptiser ces rayons. En effet, cette fausse découverte intervient dans un contexte de revanchisme après la perte de l'Alsace-Moselle, qui avait été annexée par l'Allemagne lors de la guerre de , et de tensions franco-allemandes croissantes qui allaient mener à la Première Guerre mondiale[8].
Les travaux de Blondlot et les rayons N ont été repris dans certaines doctrines ésotériques du début du XXesiècle, notamment dans des théories sur le «double éthérique» par Annie Besant et Charles Webster Leadbeater de la Société théosophique: «…Certains savants français qui ne pouvaient normalement voir les rayons N y sont parvenus après avoir passé dans l'obscurité trois ou quatre heures. Notons ici que les rayons N sont dus aux vibrations du double éthérique soulevant des vagues dans l'éther ambiant…»[9].
Dans Fragments d'un enseignement inconnu (chapitre 9 sur les Hydrogènes) Piotr Ouspenski évoque les rayons N comme étant une matière subtile. Il reprend dans cet ouvrage les propos de son maître Georges Gurdjieff.
(en) René Blondlot (trad.Julien Garcin), "N" Rays: A Collection of Papers Communicated to the Academy of Sciences, With Additional Notes and Instructions for the Construction of Phosphorescent Screens, Londres, Longmans, Green and Co., (lire en ligne).
Yves Galifret, «Une vieille histoire pleine d'enseignements: Les rayons N», Le Courrier rationaliste, no9, , p.191–196.
C. Gelain et H. Geoffroy, «À la poursuite des rayons N», L'ingénieur des industries chimiques, no41, , p.7–12.
Émile Pierret, «Un moment de l'école de physique de Nancy: Les rayons N et N1, réalités ou mirages?» (séance du ), Bulletin de l'Académie et de la Société lorraines des sciences, Académie et Société lorraines des sciences, t.VII, no3, , p.240–257 (lire en ligne).
(en) Ian Firth, «N-rays: Ghost of scandal past», New Scientist, no44, , p.642–643.
Jean Rosmorduc, «Une erreur scientifique au début du siècle: «Les Rayons N»», Revue d'histoire des sciences, vol.25, no1, , p.13–25 (DOI10.3406/rhs.1972.3262).
Pierre Thuillier, «La triste histoire des rayons N», La Recherche, no95, , p.1092–1101, repris dans Pierre Thuillier, chap.VIII «La triste histoire des rayons N», dans Le Petit Savant illustré, Paris, Seuil, coll.«Science ouverte», , 115p. (ISBN2-02-005699-2), p.58–67.
(en) Mary Jo Nye, «N-Rays: An Episode in the History and Psychology of Science», Historical Studies in the Physical Sciences, vol.11, no1, , p.125–156 (DOI10.2307/27757473, JSTOR27757473).
(en) Malcolm Ashmore, «The Theatre of the Blind: Starring a Promethean Prankster, a Phoney Phenomenon, a Prism, a Pocket, and a Piece of Wood», Social Studies of Science(en), vol.23, no1, , p.67–106 (DOI10.1177/030631293023001003, JSTOR285690).
Maurice Cara, «Les rayons N, comme Nancy: Ce qu'on m'en a conté», Le Pays lorrain, vol.82, no4, , p.289–291 (lire en ligne).
Vincent Borella, «René Blondlot et les rayons N: Génèse et postérité d'une erreur scientifique», dans Françoise Birck (dir.) et André Grelon (dir.), Un siècle de formation des ingénieurs électriciens: Ancrage local et dynamique européenne, l'exemple de Nancy, Paris, Maison des sciences de l'homme, , 467p. (ISBN978-2-7351-1085-8), p.101–122 [lire en ligne].
Éric Picholle, «Suspension (in)volontaire d'incrédulité, émotions et science pathologique», dans Yves Strickler (dir.), Jean-Sylvestre Bergé (dir.) et Marc Ortolani (dir.), Émotions et sciences: Interactions (colloque organisé à Nice, le , par l'Institut fédératif de recherches «Interactions» de l'université Côte-d'Azur), Paris, L'Harmattan, coll.«Droit privé et sciences criminelles», , 271p. (ISBN978-2-343-24454-9, HALhal-03567457, lire en ligne), p.143–156.
(en) Darrell P. Rowbottom, «N-rays and the semantic view of scientific progress», Studies in History and Philosophy of Science(en) Part A, vol.39, no2, , p.277–278 (DOI10.1016/j.shpsa.2008.03.010).