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Le préhellénique A est un concept linguistique postulé à la suite de l’analyse de la toponymie grecque. Les noms de lieu grecs à terminaison en -nthos, -mn-, -r-, -m-, -n- et -ss- forment en effet un ensemble dont l’étymologie ne peut s'expliquer par le grec. On en a déduit qu’ils devaient résulter de langues parlées antérieurement au grec ancien. La comparaison avec les langues anatoliennes de cet état antérieur de la langue grecque a conduit de nombreux auteurs à le ranger parmi elles.
Pour se faire une idée de la profondeur historique dans laquelle s’inscrit l’histoire de la langue grecque, un bref résumé des cultures qui se sont succédé au Néolithique dans le bassin égéen et dans les Balkans n'est pas inutile ; cette succession montre la progression des influences orientales indo-européennes sur la civilisation de l'Europe ancienne, dite « danubienne » :
Les substrats préhelléniques au grec ancien sont a priori à rechercher dans ces deux dernières cultures, où semblent avoir séjourné les ancêtres des populations égéennes et anatoliennes de l’âge du Bronze. Des populations apparentées à celles d’Usatovo se sont établies en Thessalie vers 3700 av. J.-C. dans la région de Dimini, près de Sesklo, occupée jusque vers 4400 av. J.-C. par des populations nettement apparentées quant à elles à la culture danubienne de Starčevo-Körös/Criş. Puis, à la fin du IVe millénaire av. J.-C., la culture des Cyclades se développa en mer Égée en conservant de fortes parentés avec les populations de Dimini. Troie aurait été fondée dans ce mouvement, au XXXe siècle av. J.-C.
D’un point de vue linguistique, les étymologies irréconciliables avec le grec trouvent parfois des solutions satisfaisantes avec le hittite et les langues louvites. C’est en particulier le cas des désinences en -σσός et en -νθος, dont on peut retrouver des équivalents louvites sur toute la côte d’Asie mineure : les suffixes -assa et -assi y sont fréquents, ainsi que les toponymes de la forme -anda-. On pense à la cité de Tarhuntassa, qui fut capitale hittite sous le règne de Muwatalli II (sans doute au Kizzuwatna bien que les ruines n'en aient encore pas été localisées à ce jour), ainsi qu’à la cité ionienne de Milet (Μίλητος), dont le nom louvite était Millawanda (encore que cet exemple puisse à première vue être considéré comme un contre-exemple : pourquoi, en effet, Millawanda n’aurait-il justement pas donné, en grec, *Μίληνθος ? C’est en fait la forme Milawata qui a prévalu, le groupe -awa- donnant en grec un ᾱ devenu η en dialecte ionien).
Le mont Παρνασσός pourrait trouver une étymologie hittite dans le radical parnant- qui signifiait « maison », en rapport avec le fait que c’était la demeure des dieux, proposition rejetée par Beekes[1]. De même, on a proposé d’expliquer le nom de la ville thessalienne de Γυρτώνη par une étymologie hittite : gurtaš qui signifierait « forteresse ».
Certains auteurs[2] relèvent également une assonance entre le labyrinthe (λαϐύρινθος), transcrit da-pu2-ri-to-jo en linéaire B mycénien, et les titres anatoliens labarna puis tabarna qui désignaient les rois hittites : il s’agirait d’une racine commune en relation avec le pouvoir du palais. Si l’on ajoute que la double-hache cultuelle des Minoens, la λάϐρυς, était désignée par un mot qui, en lydien, était à peu près de même sens (et corrélé au louvite lawar- qui signifiait « briser »), l’étroitesse des liens entre Minoens et Anatoliens ne peut plus faire de doute. Mais dans quel sens exactement les influences se sont-elles fait sentir ? Du monde minoen vers l’Anatolie sous l’effet d’un empire maritime conquérant qui nomma les choses et les lieux où il s’imposa, ou bien au contraire d’Anatolie vers la Crète et l’Égée sous l’effet de migrations bien antérieures à l’émergence de la puissance crétoise ?
Néanmoins, dans la mesure où d’une part le « préhellénique A » est supposé être à l’origine des toponymes grecs de racine non grecque, et d’autre part ces toponymes se révèlent avoir des affinités avec l’Anatolie, on en déduit que cette langue hypothétique devait également avoir de fortes affinités anatoliennes.
On reconnaît quelques liens avec l’étrusque parmi les vocables grecs dont l’étymologie pose problème. Or l’origine anatolienne des Étrusques est une question débattue depuis l’Antiquité. La tradition elle-même rapportait l’origine troyenne d’Énée, fondateur légendaire de Rome, dont les origines étaient historiquement étrusques. L’anthroponyme Tarchu « Tarquin » et le toponyme Tarchnal « Tarquinia » évoquent clairement le dieu anatolien du tonnerre et de la foudre, appelé Tarhu en hittite, Tarhun ou Tarhunta en louvite. Et l’unique témoignage linguistique proche de l’étrusque hors de l’Italie et des Alpes a été retrouvé à Lemnos, île située quasi en face de Troie, sur une stèle portant une inscription très similaire à de l’étrusque. Plus convaincant encore, l’art étrusque de la divination à partir des entrailles de bêtes sacrifiées, pratiqué par des haruspices détenteurs d’une expertise sacrée en ce domaine, rappelait très exactement celui pratiqué par les Hittites et plus généralement par les peuples du Moyen-Orient. Mais notons que Denys d'Halicarnasse objectait déjà à son époque (la fin du Ier siècle av. J.-C.) que les Étrusques devaient être un peuple autochtone : depuis lors, la question n’a jamais été tranchée.
Une marque plus directe de l’influence anatolienne sur, cette fois, la culture grecque peut être identifiée à travers la Théogonie d’Hésiode, très proche dans sa structure au « Chant de Kumarbi » du Cycle de Kumarbi de la théogonie hourrite des Hittites, un récit dont la facture même trahissait la grande ancienneté. Selon Hésiode, trois générations de dieux se sont succédé sur l’Olympe : Ouranos, puis Cronos, puis Zeus ; selon les Hittites, la séquence était formée de quatre dieux, dont les trois derniers sont étroitement parallèles au récit fait par Hésiode : Alalu, puis Anu (fonctionnellement équivalent à Ouranos comme dieu du Ciel), puis Kumarbi (parallèle au Cronos des Grecs, qui trancha le sexe d’Ouranos tandis que Kumarbi arracha avec ses dents celui d’Anu), et enfin Tešub, qui était le dieu majeur des Hourrites, dieu de l’orage fonctionnellement équivalent à Zeus, dieu majeur des Grecs porteur de la foudre et du tonnerre.
Des influences anatoliennes et crétoises peuvent donc être suspectées dans le grec ancien, mais aussi des racines étrangères au monde égéen qui pourraient remonter aux cultures néolithiques des Balkans. En schématisant, on pourrait se risquer à proposer un scénario fondé sur certaines affinités archéologiques relevées entre ces différentes cultures, qui remonterait à la culture de Cucuteni-Trypillia via celle de Gumelniţa-Karanovo en Bulgarie dans la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C., par l’intermédiaire de deux cultures du IIIe millénaire av. J.-C. :
Ce scénario doit être compris comme une conjecture plausible parmi d'autres et n'est en aucun cas attesté[3].
Quelles qu’aient été les migrations en cause, les idiomes parlés par les migrants s’étaient sans doute également superposés à ceux des populations égéennes autochtones du Bronze ancien, au nombre desquelles la civilisation minoenne ; c’est ainsi qu’on retrouverait à travers les différents dialectes du grec ancien les traces éparses de ces idiomes « préhelléniques ».
Certains auteurs classiques identifiaient comme « Pélasges » (en grec Πελασγοί) les populations réputées avoir vécu en Grèce avant « l’arrivée des Grecs ». C’était notamment le cas d’Homère, qui citait, dans l’Iliade, les Pélasges parmi les alliés des Troyens. Ils étaient dits venir de Larissa. Homère mentionnait aussi des Pélasges en Crète dans l’Odyssée.
Hésiode évoqua également ces peuples à propos du sanctuaire oraculaire de Dodone, l'un des plus anciens de Grèce, recoupant les indications d’Homère relatives au Zeus pélasgique régnant à Dodone.
Hérodote et Thucydide considéraient les Pélasges comme une population historique qui subsistait encore à leur époque, notamment à Lemnos, Imbros, Samothrace, et en Troade, ainsi d’ailleurs qu'en Attique parmi les Athéniens. La Thessalie et l'Argolide avaient, selon Denys d'Halicarnasse, des populations de Pélasges. Diverses autres allusions à travers la littérature grecque classique donnent une image confuse et souvent contradictoire de la présence des Pélasges dans le bassin égéen.
Bien que l’exercice soit souvent délicat, on peut percevoir, à travers de nombreux noms communs du grec ancien, la trace des idiomes préhelléniques qui avaient nommé les choses de la vie quotidienne des civilisations agricoles de l’aire danubienne mais inconnues des semi-nomades indo-européens, ainsi que les éléments les plus typiques de la faune et de la flore méditerranéennes, par exemple :
Notion ou vocable | Correspondance |
---|---|
l’abeille | ἡ μέλισσα, à la fois bâti sur la racine indo-européenne signifiant « doux » et qui a donné le miel (grec τό μέλι, génitif μέλιτος ; sanskrit madhu), mais avec une facture préhellénique suggérant d’ailleurs des affinités avec le sumérien giriš ; ce vocable, qui désignait des insectes à vol lent (papillon, mite), était phonétiquement et sémantiquement proche de girin, girun et gurun, qui désignaient des fruits et des fleurs (associées au miel). Au point qu’on peut se demander si la racine indo-européenne n’est pas un emprunt précoce aux langues néolithiques du Proche- et du Moyen-Orient… |
l’âne | ὁ ὄνος (cf. latin asinus), possiblement corrélé au sumérien anše, qui désignait l’âne mâle ou l’onagre |
l’arsenic | τό ἀρρενικόν |
la baignoire | ἡ λουτήρ |
le blé | ὁ σῖτος, pluriel τὰ σῖτα (à rapprocher du sumérien ezinu « céréale » et še « grain ») |
la bière | désignée par une périphrase : ὁ κρίθινος οἶνος « vin d’orge » |
la brique | ἡ πλίνθος |
bronze, cuivre | ὁ χαλκός, peut-être à rapprocher du sumérien URUDUnì-kala-ga « cuivre dur » ou « bronze » |
le cerf | ὁ ἔλαφος |
le chat | étrangement désigné une périphrase : ὁ/ ἡ αἴλουρος, composée de αἰόλος « remuant » et οὐρά « la queue », le vocable égéen d’origine ayant par conséquent été perdu sans pour autant être remplacé par un véritable nom commun grec |
la couche | ἡ εὐνή, avec une connotation de lit conjugal |
le cyprès | ἡ κυπάρισσος |
le dauphin | ὁ δελφίς, génitif δελφίνος |
l’encens | ὁ λίϐανος |
l’épée | τό ξίφος |
l’esclave | ὁ δοῦλος / ἡ δούλη |
l’étain | ὁ κασσίτερος |
la fenêtre | ἡ θυρίς, génitif θυρίδος « petite porte » |
le feu | τό πῦρ, génitif πυρός à rapprocher du hittite pahhur/pahhuwar, gén. pahhu(e)naš |
la figue | τό σῦκον |
la fille | ἡ θυγάτηρ, racine vraisemblablement ancienne (pré- ou proto-indo-européenne) passée également dans les langues germaniques : daughter en anglais, Tochter en allemand |
le four | ὁ ἰπνός, pour la cuisson des poteries |
le foyer | ἡ ἑστία « maison », ἡ ἐσχάρα « âtre » |
la grenade | ἡ ῥοιά, certainement de même origine que le linéaire A minoen RU+YA |
la jacinthe | ἡ ὑάκινθος |
la javeline | τό παλτόν |
la laine | ὁ μαλλός, qui évoque le linéaire A minoen MA+RU de même sens, ainsi que le sumérien bar-LU dont le sens précis était « assemblage des meilleures laines » |
le laurier | ἡ δάφνη |
le melon | ἡ σίκυα, qui désignait en général les cucurbitacées telles que la citrouille et le concombre |
la menthe | ἡ μίνθος |
la mer | ἡ θάλασσα, avec une connotation côtière, contrairement à τό πέλαγος, qui voulait dire « haute mer », sur une racine indo-européenne *plāk qui signifiait « étendue plate » |
mouton, chèvre | désignés ensemble par τό μῆλον |
le narcisse | ὁ / ἡ νάρκισσος, accentué sur l’antépénultième, comme l’est θάλασσα |
l’olive | ἡ ἐλάα, à rapprocher de l’adjectif étrusque eleivana « d’huile », voire du sumérien (i3-)li2 « huile fine » (mesure) |
l’or | ὁ χρυσός |
l’orge | τό κρῖ, αἱ κριθαί |
la porte | ἡ πύλη / ὁ πύλος, à rapprocher de l’akkadien abullu(m) de même sens ; ἡ θύρα, passé également dans les langues germaniques : door en anglais, Tor en allemand |
le roi | ὁ ἄναξ ; ὁ βασιλεύς (on trouve en linéaire B la mention qa-si-re-u, à l’origine du basileus, qui semble renvoyer aux potentats locaux, nobles ou hauts fonctionnaires, tandis que wa-na-ka, à l’origine du vocable anax, semble au-dessus du basileus) ; on soupçonne la culture de Cucuteni-Trypillia d'être à l’origine du grec ἄναξ, ainsi que des mots vanakt- en phrygien, et nätäk en arśi[4], avec une métathèse, qui ont tous en commun de vouloir dire « roi » et de n'être pas de racine indo-européenne |
la sardine | ἡ τριχίς, génitif τριχίδος |
le tamaris | ἡ μυρίκη |
le thon | ὁ θύννος, néanmoins fréquemment rapproché du verbe grec θύειν « bondir » |
le thym | ὁ θύμος |
le toit | ἡ ὀροφή / ὁ ὀροφός, à rapprocher peut-être du sumérien ur3 de même sens |
la tour | ὁ πύργος, qu'on retrouve dans l’indo-européen *bhergh (d’où l’allemand burg) ainsi que dans l’arabe burj |
la vigne | ἡ ἄμπελος |
Le verbe ζῆν, qui signifiait « être en vie », remontait sans doute également à une vieille racine linguistique et pourrait être rapproché d’une part du verbe étrusque sval « être en vie » (sans doute corrélé à l’adjectif ziva « décédé », c’est-à-dire « qui a vécu »), d’autre part du substantif sumérien zi qui signifiait « souffle vital », « âme », « vie » et ses variantes ti(l(a)) et tin.
Les noms de la plupart des dieux grecs, notamment ceux du Δωδέκαθεον (les douze dieux de l’Olympe), relèvent d’une étymologie obscure qui laisse soupçonner des origines prégrecques :
En étendant la liste aux demi-dieux et aux héros on pourrait ainsi multiplier les exemples. On ne retiendra ici que le nom du légendaire roi Μίνως de Crète, ainsi que celui de la double-hache cultuelle des Minoens (ἡ λάϐρυς, génitif : τῆς λάϐρυος), en français labrys, dont dérive le labyrinthe, ὁ λαϐύρινθος.
Les toponymes (et théonymes) ayant un thème en -σσός (voire en -ττός) accentué sur la désinence et précédé d’une voyelle longue (ᾱ, η, ῑ, ῡ, ω), en -μνος de genre féminin accentué sur l’antépénultième et souvent précédé d’une voyelle longue (ᾱ, η, ῑ, ῡ, ω), et en -νθος (à l’instar du labyrinthe, ὁ λαϐύρινθος) accentué sur l’antépénultième et souvent précédé des voyelles α, ι ou υ, remontaient vraisemblablement à une ou plusieurs couches linguistiques préhelléniques non indo-européennes, tels que :
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