Éthique dans Histoire de Tom Jones, enfant trouvé
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Le but de Henry Fielding, lorsqu'il publie Histoire de Tom Jones, enfant trouvé, (The History of Tom Jones, a Foundling) en 1749, est de présenter la nature humaine telle qu'elle est, d'abord en ses protagonistes, Tom Jones que l'aveuglement d'un brave squire envoie sur les routes, et Sophia Western que l'obstination stupide d'un père veut marier contre son gré, ensuite dans tous les personnages qui gravitent autour d'eux en différents cercles concentriques plus ou moins rapprochés.
Le roman a donc une vocation essentiellement morale, entend laisser un message fondé sur la raison et le bon sens, développé par une métaphore usuelle à l'époque car issue de la veine picaresque, celle du voyage d'initiation faisant passer les héros du stade de l'innocence à celui de l'expérience, et donnant l'occasion aux autres personnages soit de s'amender, auquel cas ils rejoindront à la fin le cercle des heureux, soit de persister dans leur état, ce qui les condamne à l'oubli du narrateur.
Cette ambition moralisante confère au roman son unité thématique, encore que certains critiques modernes trouvent cette posture trop franchement masculine, accordant toute l'indugence du monde au héros pour ses frasques de jeunesse, mais imposant à l'héroïne un corset de vertu parfaitement verrouillé. L'acceptation ouverte de Fielding des exigences de la sensualité masculine lui a valu le reproche de son rival plus puritain Samuel Richardson qui, en réplique à Histoire de Tom Jones, enfant trouvé, publia 1753 son Sir Charles Grandison où il s'efforça de créer un héros aussi pur et vertueux que n'importe quelle héroïne.
L'éthique de Tom Jones avait déjà été développée dans le précédent roman de Fielding, Joseph Andrews, où les deux personnages principaux, Joseph qu'accompagne son fidèle Parson Adams étaient prêts à faire le coup de main pour défendre leurs principes, mais ici, elle apparaît plus subtilement et moins intrusivement diffusée dans le texte, sollicitant davantage la participation du lecteur averti qui, de mêche avec le narrateur-auteur, ne peut qu'adhérer à ses vues.
Tom Jones relate les aventures d'un jeune homme renvoyé de Paradise Hall et aussitôt confronté à la perversité du monde et aussi à ses propres défauts, mais qui conquiert l'amour et le bonheur après une série d'épreuves, puis s'en revient à la maison avec, dans sa besace, la sagesse de l'expérience. À la fin du roman, c'est un nouvel homme à qui « ses réflexions sur ses folies passées […] ont fait acquérir une prudence et un discernement bien rares chez un jeune homme d'un caractère aussi bouillant »[1],[C 1].
Ainsi, Fielding présente l'histoire d'une évolution morale, un pèlerinage du « moi » semblable à celui de Pip dans Les Grandes Espérances. Jamais, pourtant, ne s'y détectent la trace d'une amertume, le relent d'un cynisme, non plus que l'accent de la violence : à la différence du Roderick Random de son contemporain Smollett, Tom Jones est l'illustration même de la bonté naturelle triomphant de l'égoïsme et de l'hypocrisie et célébrant la victoire de la vertu sur le vice[2].
Dans cette optique, l'orientation religieuse du roman, quoique moins en évidence que dans Joseph Andrews qui, réduit à l'essentiel, se résume au voyage d'un homme de bonté à travers une terre d'ingratitude et de trahison, se fait sentir par la présence de certains thèmes récurrents, la charité, la chasteté, l'honneur, etc. Voilà qui implique une conception affirmée de la nature humaine, du vice et de la vertu, de la place de l'homme dans la société, l'ensemble constituant une doctrine philosophique à partir de laquelle Fielding crée un univers moral[2].